Production

Théodore Eristoff et la musique fut…

ENTRETIEN

Publié le 03/12/20

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Arrangeur musical, compositeur, réalisateur, producteur… les casquettes sont multiples pour Théodore Eristoff, musicien à la base, qui a toujours souhaité raconter des histoires…

Le studio A du studio Music Design Project situé à Issy-les-Moulineaux. © DR

Il revient pour nous sur le processus de création entre image et musique et nous parle de son actualité avec la société de production qu’il a fondée il y a un an, One Way Films…

 

Moovee : Pouvez-vous d’abord commencer par vous présenter ? De quel instrument jouez-vous ?

Théodore Eristoff : J’ai commencé par faire du piano à l’âge de cinq ans dans un conservatoire russe en Géorgie. Puis en arrivant en France, j’ai naturellement continué mon parcours d’apprentissage musical. Durant l’année de mon bac, j’avais été pris comme compositeur pour un album initié par un producteur, mais ce qui m’intéressait avant tout était la musique à l’image. L’année suivante, je tentais de frapper à toutes les portes pour essayer de faire écouter ma musique, mais j’étais jeune, peu expérimenté et il m’était relativement difficile de gagner la confiance d’une production… Ayant toujours aimé les films en plus de la musique, je me suis dit que je pouvais rapprocher mes deux passions, j’ai donc tenté l’ESRA pour faire de la réalisation.

Le hasard a voulu que le premier jour de ma rentrée à l’ESRA, j’aie été contacté par le réalisateur musical Florent Bidoyen (qui a plusieurs millions d’albums vendus à son actif pour des artistes et projets variés) que j’avais eu la chance de rencontrer, me proposant d’être arrangeur musical et compositeur à ses côtés pour le cabaret de Thierry Mugler, Mugler Follies qui allait se jouer au Comédia à Paris.

Le plus dur étant souvent le premier projet, d’un projet vient un autre, puis un troisième et ainsi de suite… J’ai ainsi poursuivi ma formation de réalisateur tout en exerçant en parallèle mon métier de compositeur et d’arrangeur pour des majors tels que TF1 Musique, Sony Music Entertainment France, Universal Music Group, etc.

 

M. : Pourriez-vous revenir, pour les non-initiés, sur la différence entre arrangeur musical et compositeur ?

Le travail reste assez similaire, car dans les deux cas il faut faire preuve de création, mais lorsque nous sommes arrangeur, nous évoluons avec une base musicale existante. À nous de lui donner une nouvelle couleur, atmosphère, lecture. Alors qu’en étant compositeur, il faut tout imaginer en ne partant de rien, trouver l’idée et construire autour. J’ai par exemple eu la chance de co-écrire, avec le chanteur Nathan Zanagar, la bande originale de la pièce de théâtre, Bella Figura de Yasmina Reza, qui s’est jouée au Théâtre du Rond-Point à Paris, où l’exercice d’arrangement consistait à retravailler un titre des Rolling Stones.

Nous avons pris la mélodie et les paroles du morceau existant, en changeant les harmonies, les atmosphères, en jouant de la basse électrique avec un archet de violoncelle, pour donner une autre interprétation au titre. Ce qui nous a d’ailleurs valu la mention « œuvre de qualité » de la part de l’éditeur original du groupe !

 

M. : Vous avez été à l’initiative de plusieurs sociétés de production… Qu’est-ce qui fait qu’après avoir collaboré avec les plus grands majors, on choisit de monter son entreprise ?

J’ai toujours vu mon travail de compositeur et arrangeur pour les majors comme un détour pour accéder à ce qui me motive : raconter des histoires. J’ai fini par arrêter de choisir entre la musique et l’image pour tenter de lier les deux dans un même élan, au service des histoires qu’il me tient à cœur de raconter.

La complémentarité de l’un par rapport à l’autre permet des libertés artistiques dans l’expression des nuances. La notion de liberté existe également quand il s’agit d’initier des projets… En ce sens, j’ai assez vite senti le besoin d’avoir une société pouvant servir de réceptacle à mes projets.

C’est une liberté qui comporte évidemment les réalités de l’entrepreneuriat et ses contraintes : avoir une activité permanente, un bilan positif, etc.

Pour ceux qui veulent se lancer, les statuts d’association ou de micro-entreprise comportent moins de risque, moins de frais et de charges. J’aurai tendance à recommander les formes juridiques d’entreprise plus « traditionnelles » quand il y a la possibilité d’avoir une visualisation d’ensemble sur ce que pourrait être une année financière ou plus.

Après plus de deux ans au sein d’une première société de production créée avec des amis et associés rencontrés à l’ESRA, j’ai décidé de fonder, il y a un peu plus d’un an, la société One Way Films pour m’orienter plus spécifiquement vers le documentaire et la fiction.

 

M. : Avez-vous une ligne éditoriale à One Way Films ?

Nous privilégions des sujets sociétaux. Nous avons en ce moment quatre projets de documentaires en production, deux films avec l’Agence spatiale européenne (ESA, European Spatial Agency), dont le premier qui devrait voir le jour pour la fin de l’année (de 43 minutes chacun), puis un documentaire sur l’immigration qui sera dans un format de 52 minutes, et enfin une expédition de quatre mois en Antarctique que nous devrions couvrir pour la fin de l’année 2021 pour un film d’une heure et vingt minutes.

Dans un autre registre, je viens de terminer une commande de symphonie en seize titres, mixée en Surround 5.1, et je viens de signer pour une deuxième qui sera jouée par un orchestre philharmonique et fera l’objet d’un album.

 

M. : Comment travaillez-vous actuellement ? Avez-vous des salariés ?

Je travaille avec des partenaires ou d’autres sociétés de production dont Florentin Lemonnier, docteur en climatologie, qui est à la tête de la jeune société Escape Production (avec qui je fais les documentaires ESA et Antarctique), qui s’est installé dans mes locaux pour un souci de coordination. Pour le reste, j’embauche essentiellement à la mission (pour les techniciens nécessaires aux tournages) ou au projet (pour les personnes nécessaires en amont, dès la conception du projet). Nous avons d’ailleurs en ce moment deux personnes en plus pour nous aider à synthétiser une très grande quantité de documentation nécessaire dans la phase de développement du projet ESA.

Mon lien professionnel et amical avec Florent Bidoyen à la tête du splendide studio Music Design Project situé à Issy-les-Moulineaux, au cœur du pôle média de Paris (avec comme voisins Arte, Canal+, France TV, TF1 etc.) m’a permis de domicilier One Way dans l’un des trois studios (studio B), ce qui me permet de produire du contenu de A à Z, allant de la préproduction, jusqu’à la livraison du projet.

Il y a ici des bureaux de production, des stations d’écriture de musique, des studios d’enregistrement pouvant faire face à toutes les situations (y compris des configurations d’orchestres), des stations de mixage (dont surround 5.1 et 7.1 et Dolby Atmos), des stations de montage, d’étalonnage… Le fait que tout soit centralisé permet d’échanger plus rapidement et de pouvoir tout faire, ajuster en temps réel, et donc de gagner en efficacité.

 

M. : Vos conseils pour convaincre un diffuseur ? Et plus globalement pour quelqu’un qui aimerait se lancer dans le milieu ?

Il faut réussir à présenter son projet, obtenir une attention. Pour ce faire, souvent au culot ! Être sélectionné et aller en festival permet un réel écho où l’interaction humaine demeure primordiale avec un public professionnel. C’est un réseau que l’on se crée au fur et à mesure des projets…

De manière générale, il y a pour moi quelque chose qui ressort, tant sur le secteur de la musique que sur celui du film : mieux vaut faire que ne pas faire ! Il faut pratiquer tout le temps, quitte à avoir des milliers d’heures de musiques/d’images qui ne serviront qu’à apprendre à maîtriser les outils. En image, en musique, en son, nous avons accès à des outils quelquefois inconcevables il y a vingt, trente ans. Une petite caméra, un DAW, quelques plugs-in sont facilement accessibles maintenant. Il faut se saisir de cette opportunité pour travailler son langage créatif. Garder à l’esprit que nous sommes jugés uniquement sur ce que nous faisons. Il y a un temps pour faire ses armes.

Après, vient en second temps le moment de prendre des décisions, de s’orienter, de créer une économie permettant de faire aboutir les projets et d’en vivre. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous les chemins ne se croisent pas ou du moins peu ; il ne tient qu’à nous de détourner les énoncés pour servir au mieux les projets que l’on souhaite porter.

Ensuite, pour les métiers créatifs, c’est important de trouver des projets qui nous animent tout simplement. Les horaires sont souvent très rudes, les plannings très serrés. Ce sont des stimuli à avoir ; une histoire de sensibilité à écouter…

 

M. : Dans votre manière d’aborder un projet, pensez-vous une musique en amont sur l’idée d’un projet ou bien en visionnant les rushes du film ? Quel est votre processus de création ? Y a-t-il une règle ?

Dans les initiatives des projets, je commence par le thème en fonction du sujet qui me trotte en tête, puis souvent, avant même d’avoir le synopsis complet, je me tourne vers la musique qui reste mon premier langage. L’avantage de la musique, c’est que l’on peut y inscrire beaucoup de sous-textes qui ne sont pas forcément lisibles dans un scénario, des atmosphères, le ton…

En revanche quand je dois écrire de la musique pour les projets des autres, cela dépend beaucoup du réalisateur… Il peut avoir envie d’écouter la musique écrite pour se mettre dans le contexte et s’imprégner d’une ambiance avant ou pendant le tournage ; c’est d’ailleurs une demande que j’ai de plus en plus, la musique basée sur une longue conversation avec le réalisateur, qui se retrouve diffusée sur les plateaux, pendant les répétitions, voire pendant les prises.

D’autres fois, c’est aux images déjà montées que je dois donner des thèmes, des couleurs. Dans le premier cas, on part de rien, et dans l’autre on suit des idées jusqu’au moment où la musique et l’image se mettent à dialoguer pour former un ensemble ; c’est assez intuitif : quand ça marche, on le sent. Sans même forcément savoir l’expliquer…

Le compositeur peut également être le bon interlocuteur pour donner une vision extérieure au film et suggérer quelque chose auquel le réalisateur n’avait pas pensé, car il s’agit de l’interprétation personnelle du film par le compositeur… Je trouve important de laisser de la place aux surprises, aux heureux hasards, voire aux accidents.

En somme, il n’y a pas de règle, à chacun son approche. Il faut simplement garder en tête que ce qui a fonctionné pour une histoire, un projet, ne fonctionnera pas forcément pour un autre, et c’est justement ce qui est intéressant !

Concernant le processus d’écriture et de réalisation de films, j’essaye de trouver un équilibre entre ce que j’ai envie d’aborder comme thématique, de chercher les raisons intérieures pour définir le cœur du projet et la documentation objective dans un premier temps pour assimiler la plus grande quantité d’information, pour ensuite décanter et nourrir l’histoire que l’on veut raconter…

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.44/47. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.