Production

La vidéo corporate serait-elle le genre le plus créatif ?

INTERVIEW

Publié le 04/05/21

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Ce titre vous paraît un peu provocateur ? Peut-être ne l’est-il pas tant que ça !

Les thèmes, formats et modes de narration possibles sont extrêmement vastes (ici pour Audi Canada et Freeride World Tour). © Aurélie Gonin

Le film d’entreprise a longtemps été snobé pour son conservatisme, jugé particulièrement ennuyeux dans le fond et surtout dans la forme. On avait alors en tête ces vidéos montées autour de l’interview du dirigeant, enregistrée dans un bureau et vaguement illustrée par quelques plans peu convaincus le montrant en train de déambuler dans les locaux ou de discuter avec ses collègues sur fond de musique insipide. Le rendu pouvait alors être informatif mais rarement très captivant. Certes, cela a bel et bien existé et connaît probablement encore quelques adeptes.

Pour autant, réduire la vidéo institutionnelle à ce seul modèle serait nier le foisonnement d’idées qui existe dans ce domaine, sans doute moins contraint par les normes liées aux supports de diffusion que d’autres genres, et dans lequel il est ainsi possible de laisser libre cours à sa créativité.

 

Philippe Perez, président de l’association La Cie des Reals, aime englober ce genre dans un ensemble plus large sous l’appellation « film de commande », car pour lui sa caractéristique principale est de répondre à une aspiration exprimée par un commanditaire et non une idée créée par un auteur.

Les motivations peuvent être très diverses, il peut s’agir de la présentation d’un produit, d’un savoir-faire, de la promotion d’un service ou même d’un événement, de la défense d’une cause, de l’affirmation de valeurs…

Il n’existe pratiquement plus de communication sans vidéo, donc tous les messages doivent passer par de l’image animée. Les structures en demande de ce type de vidéo sont extrêmement variées, allant des entreprises de toutes sortes aux associations, institutions, groupements… De l’industrie à la culture, du social à l’éducatif ou à l’environnement, le panel des thématiques abordées est ainsi extrêmement vaste.

À la différence des autres films, on s’adresse ici à différents publics : communication interne, B2B (Business to Business), B2C (Business to Consommateur) et on emploie pour cela divers moyens de diffusion : intranet, Internet, réseaux sociaux, salons, conférences, événements… L’éventail des types de vidéos possibles est ainsi presque infini, du fait des sujets abordés bien sûr, mais aussi de par leur forme allant de l’interview isolée à la fiction, en passant par le documentaire, le reportage ou le film d’animation.

Philippe Perez rappelle avec malice que les premières images animées, celles prises par les frères Lumière à la sortie de leur usine en 1895, se classent déjà dans le film d’entreprise. Le genre est donc loin d’être nouveau et a de tous temps été le témoin privilégié d’une époque, en montrant les lieux dans lesquels travaillent les gens, le type d’activité qu’ils y pratiquent, la manière dont on communique, etc. Il fait ainsi clairement partie de notre patrimoine.

 

Le film institutionnel, ou corporate, a bien entendu subi de profondes transformations au fil des années, mais celles-ci ont été particulièrement marquées au cours de la dernière décennie, et ce pour différentes raisons :

• La révolution technologique. L’amélioration fulgurante du numérique par un matériel de prise de vue et de postproduction plus léger, mobile et surtout bien moins cher, tout en étant très qualitatif. Cette (r)évolution a considérablement amélioré l’aspect esthétique des vidéos.

• La révolution de l’Internet et des réseaux sociaux. Sont ainsi apparus des espaces de diffusion illimités, universels et gratuits, à l’inverse des supports précédents qui avaient un coût, tels que les cassettes, DVD et clés USB, ainsi qu’une audience réduite.

• La transformation des structures de production. L’évolution du matériel et la réduction de ses coûts a vu l’émergence des très petites structures et des indépendants, ainsi que des services de communication en interne qui remplacent de plus en plus les agences de communication et sociétés de production.

 

On peut aujourd’hui distinguer deux types de production de films d’entreprise : celles qui passent par une agence de communication, qui ensuite embauche une équipe de production pour mettre en forme ce qu’elle a imaginé, et celles qui font appel directement aux réalisateurs pour concevoir leur outil de promotion audiovisuelle.

Dans le premier cas, le scénario, l’identité visuelle et le découpage sont pensés par les créatifs de l’agence, qui confient à la production vidéo le soin de réaliser le film le plus proche de ce qu’ils avaient en tête au moment de l’écriture. La créativité se borne alors parfois à la composition de la lumière et des cadres (ce qui est déjà très satisfaisant).

Dans le second, c’est le réalisateur qui réfléchit au concept qui viendra au mieux véhiculer le message souhaité par le client, en écrivant le storytelling qui sera décliné dans différents formats. Ce dernier n’ayant souvent qu’une vague idée de ce qu’il souhaite, la liberté de création du réalisateur est immense, bien que bridée par un budget généralement plus réduit que dans le cas du film d’agence.

Ces deux méthodes de fonctionnement peuvent tout à fait cohabiter, répondant aux besoins hétéroclites des clients. Ils reflètent l’évolution globale du secteur de l’audiovisuel, dans lequel les grosses productions laissent de plus en plus de place aux indépendants.

Avec l’amélioration du matériel les conditions d’emploi se sont dégradées, car on demande de plus en plus à une personne d’occuper plusieurs postes. On doit alors choisir entre être « bon dans un domaine ou moyen partout ». Mais l’aspect positif de cette tendance est de permettre plus facilement à tout un chacun d’exprimer sa créativité et de montrer ses talents, sans être bridé par la hiérarchie pesante des productions traditionnelles.

 

Peut-on développer sa créativité avec des films corporate ?

La réponse est clairement oui. Le storytelling a bouleversé la manière de s’exprimer. Il est désormais davantage question de présenter des valeurs que des produits pour attirer les clients, ce qui accroît considérablement l’éventail des scénarii et des possibles.

Les mondes du documentaire, de la publicité et du cinéma ont longtemps regardé de haut ce genre et les « petits réals » qui le faisaient. Mais la vidéo corporate a su utiliser les évolutions techniques pour progresser énormément dans sa qualité visuelle et audio, et les auteurs-réalisateurs ont inventé des manières attrayantes de véhiculer les messages de leurs clients. Comme les « grands », le genre a aujourd’hui ses festivals dédiés, dont le dernier en date a été The Spot à Arcachon.

Le film d’entreprise est aujourd’hui moins normé que d’autres, car moins soumis aux dictats des supports de diffusion qui sont, comme on l’a vu précédemment, très variés. On peut décider de concevoir des films verticaux pour des écrans disposés dans un musée ou un salon, carrés pour des plates-formes du web ou des moniteurs multiformats, très panoramiques pour une diffusion sur écran lors d’une conférence…

Les durées sont-elles aussi plus libres, la priorité allant au temps accordé à l’auditoire plus qu’au respect d’une contrainte. D’un sujet unique sont souvent tirées plusieurs déclinaisons destinées à différents supports. On peut satisfaire le client en lui proposant une stratégie de communication qui couvre tous ses besoins, tout en se faisant plaisir en tant que réalisateur.

 

Est-ce que le genre se porte bien aujourd’hui ?

Oui et non. Oui car la communication passe désormais obligatoirement par la vidéo. On sait qu’un post sur un réseau social sans photo n’a aucun impact, et que celui-ci est démultiplié quand l’image bouge. Néanmoins l’écart entre les grosses productions et celles à budget ultra-réduit se creuse, au point qu’il n’existe pratiquement plus de projet intermédiaire.

Avec la crise du Covid, les entreprises et les institutions ne savent plus si elles doivent communiquer, ni comment, ni même si elles peuvent investir dans des outils de communication dans une période à l’avenir aussi incertain. Nous sommes habitués à sans cesse nous réinventer et nous adapter aux évolutions de la société, par exemple en proposant des films d’animation pour répondre aux contraintes de distanciation sociale, mais nous sommes aujourd’hui face à une crise inquiétante, dans le film corporate comme pour tout l’ensemble de notre secteur.

Pour promouvoir ce genre, la Cie des Réals, association dont Philippe Perez est le président, a été créée en 1982. Sa vocation est de réunir des auteurs-réalisateurs professionnels faisant des films de commande de genres variés comme le corporate, le documentaire, la publicité, le clip, le spot de sensibilisation, la captation, ou encore la fiction, afin de promouvoir leurs activités et défendre ses membres et la profession.

Des projections sont organisées dans un esprit de bienveillance et d’échanges, en vue de développer un réseau. Le 14 octobre à 20 heures est ainsi organisée la prochaine soirée « Projos & Cie » dans la salle de cinéma de Commune Image à Saint-Ouen, une belle occasion pour visionner des films de commande et échanger sur ce thème.

On l’a vu, le film d’entreprise est un genre très vaste et relativement peu normé, dans lequel il est possible de laisser libre cours à sa créativité. C’est aussi l’occasion exceptionnelle de pénétrer dans des univers ou de rencontrer des gens que l’on n’aurait jamais côtoyés autrement, ce qui est extrêmement enrichissant.

Pour ma part, cela m’a amenée à des expériences aussi variées que de marcher sur le toit d’un téléphérique, conduire une dameuse, traire la vache d’un fabricant de gruyère ou déguster la spécialité d’un restaurant gastronomique. À chaque fois des moments intenses et de vraies rencontres, autant d’opportunités que seul notre métier permet et dont il ne faut pas hésiter à profiter, pour en sortir un film qui rende hommage à ces hommes, à leurs savoir-faire et aux valeurs qu’ils souhaitent véhiculer.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.40/42. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.