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Plongée immersive avec le producteur Remi Large

TAMANOIR

Publié le 13/09/20

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Rémi Large s’est lancé dans la réalité virtuelle dès les tout débuts de son émergence en France. Il a créé Tamanoir, un studio de création spécialisé dans les projets immersifs avec son associé, Samuel Lepoil.

Le concept art de Birdie Long Gone, l’un des derniers projets de Tamanoir en son spatialisé. © Tamanoir

Tous deux ont expérimenté depuis toutes sortes d’aides à la production, de dispositifs d’accompagnements et d’incubateurs et aussi surtout de créations interactives… Rémi Large revient pour nous sur son expérience, la réalisation d’un premier film VR et son analyse du marché. Retour sur un parcours inspirant…

 

Moovee : Qu’est-ce qui vous a orienté vers la réalité virtuelle et les univers immersifs ?

Rémi Large : C’est un heureux hasard… ! Ma formation à la base est liée au cinéma. J’ai travaillé dans la production en documentaire et fiction en tant qu’assistant réalisateur ou assistant de production. C’est en reprenant mes études, en faisant un Master 2 à la Sorbonne appelé « Scénario et nouvelles écritures », que j’ai été initié à toutes les formes d’écritures possibles allant de la radio aux univers immersifs. C’était en 2015/2016 et c’était la période de la démocratisation de la VR. C’est pendant ce master que j’ai rencontré Samuel Lepoil qui deviendra mon associé par la suite.

L’idée d’un projet VR est partie d’une idée spontanée de Samuel lors d’une soirée étudiante. J’étais plutôt réticent au début, nous étions étudiants, nous n’avions aucune connaissance en VR et n’avions pas d’argent pour produire quoi que ce soit ! Il m’a convaincu en me faisant regarder un test hybride de Google sur la VR sur un cardboard en carton, un casque de fortune. C’est une aventure qui dure maintenant depuis trois ans… Notre premier projet VR ayant pris forme était Saving Tomas qui a été présenté au 360 Film Festival.

 

Justement, comment avez-vous fait pour le matériel ? Pour trouver un budget ?

À l’époque, il n’y avait pas de caméra tout en un. La petite caméra Samsung Gear avec deux objectifs n’existait pas encore. Nous avions mis des GoPro les unes sur les autres sur un rig. Nous découvrions en même temps que tout le monde… Il a fallu passer de la monoscopie à la stéréoscopie, ce qui impliquait de passer à seize GoPro et non huit. Il faut avoir un objectif très clair avec beaucoup de volonté.

Concernant le budget, nous avons eu quatre sources de financement : le CNC via l’aide à l’écriture pour les nouveaux médias, l’aide à l’écriture du Fonds régional de l’Ile de la Réunion où a eu lieu le tournage, le Muséum d’histoire naturelle et le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE). Beaucoup d’universités nous ont soutenus car c’était un des premiers projets VR étudiants. Nous avons eu en tout un budget à hauteur de 45 000 €.

Cela nous a permis d’acheter des GoPro et de travailler avec un artisan qui a conçu spécialement un rig pour notre tournage grâce à une imprimante 3D. Nous avons ensuite pu travailler avec des techniciens réunionnais sur place. Nous avions prévu des plans en mouvement, en drone… Nous avions même hésité à louer un hélicoptère !

Nous avions fait en sorte que la partie filmée ne soit qu’à 180 °, l’autre partie de 180 ° a été réalisée en animation par des étudiants des Gobelins. En comptant la diffusion de Saving Tomas dans toutes les facultés qui nous ont aidés avec le FSDIE, c’est une trentaine d’étudiants qui ont été impliqués sur le projet.

Le film Saving Tomas a été la première expérience VR achetée par France Télévisions. À l’époque, leurs équipes avaient encore un langage pour des films de télévision classique… Ils nous avaient demandé un DCP pour le diffuser ! Tout était nouveau. Il est maintenant disponible sur la chaîne YouTube du groupe.

Cette expérience nous a permis de monter notre studio, Tamanoir, par la suite. Nous avons ensuite réalisé le premier teaser en VR pour l’Opéra de Paris et cela a constitué notre carte de visite.

 

L’immersion est un concept à la croisée de plusieurs disciplines… Votre associé et vous avez des parcours riches et divers. Pourriez-vous dire que cela vous a servi ou aidé par rapport à la scénographie et à la représentation dans l’espace pour faire de la réalité virtuelle ?

La notion d’immersion n’a pas arrêté d’évoluer et de se définir. Nous pensions tous uniquement VR à l’origine, mais il y a d’autres arts reliés à l’immersion qui existent depuis des millénaires. Rassembler un groupe de personnes autour d’un feu et conter une histoire, c’est de l’immersion en soi. Entrer dans le château à Disneyland, c’est aussi de l’immersion !

Nous pensions au début notre association parfaite. Samuel venant du jeu vidéo et moi du cinéma, cela constituait la jointure idéale de la VR… Mais cela s’est révélé être moins le cas dans les esprits des diffuseurs ou institutions ! À partir du moment où nous nous sommes présentés comme ancien metteur en scène en théâtre (pour Samuel) et comme ancien danseur professionnel (pour moi), nous avons reçu des échos plus favorables.

Cela signifiait que nous venions à la fois des arts vivants et que nous connaissions en même temps les processus d’écriture d’interaction des jeux vidéo… Cela donnait alors beaucoup plus de sens à la définition de l’immersion. Nos passions pratiquées par le passé sont un énorme atout pour nous.

 

Vous avez depuis, pour vos différents projets, expérimenté et travaillé avec tous types d’aides à la production et d’accompagnements… Beaucoup sont liés au territoire, en particulier à la banlieue : Pôle Média Grand Paris, MediaLab 93, Commune Image, la Région Ile-de-France… Est-ce une coïncidence ?

Je n’avais jamais fait le lien moi-même… Effectivement, je pense qu’il y a deux raisons : d’abord économique puis une raison plus intime. Je viens moi-même de la banlieue, j’y ai vécu 23 ans. Faire en sorte de valoriser le territoire francilien et pas seulement parisien, m’intéresse tout particulièrement.

François Calderon, l’ancien directeur général de Commune Image, m’avait rencontré sur un festival, il était en train d’ouvrir un incubateur dédié à la VR et m’avait invité à venir les voir. Nous ne pouvions pas nous permettre de payer de loyer, mais il a trouvé une solution malgré tout. Nous y avons été hébergés pendant deux ans gratuitement. Cela nous a permis de nous lancer. Ils nous ont soutenus du début jusqu’à la fin. Nous avons même pu travailler sur la postproduction du film VR sur Thomas Pesquet. La Vingt-Cinquième Heure, qui produisait le film, résidait aussi à Commune Image.

Le Pôle Media Grand Paris fait un gros travail de mise en relation. Le plus important lorsque l’on commence, c’est d’être à fond tout le temps, même sur des festivals qui en apparence ne vont rien nous apporter, c’est peut-être lors de ces manifestations qu’une rencontre va se souvenir de vous et vous rappeler un an plus tard…

Le MediaLab93 organise des game jam et des hackathon qui sont très formateurs ; cela permet de rencontrer beaucoup de techniciens vidéo freelance et intermittents.

Pour la Région Ile-de-France, nous avons été lauréat de la bourse du dispositif FoRTE (Fonds régional pour les talents émergents) pour les jeunes. Ils prennent des projets VR/AR, même s’ils n’ont pas de section spécifique dédiée aux projets immersifs.

 

Que pensez-vous de l’avenir de la VR et de son marché ?

D’un point de vue personnel, je pense que tout ce qui est VR cinématique, c’est-à-dire VR 360 ° n’a pas d’avenir. Je n’ai pas été renversé par tout ce que j’ai pu voir. Avec Tamanoir, nous nous sommes détachés de cela. À l’inverse, tout ce qui est expérience avec moteur de jeu Unity ou Unreal et interactions a pour moi une réelle valeur ajoutée.

La VR est juste un outil. Nous, ce qui nous intéresse vraiment, c’est l’immersion, qu’un public se plonge dans une histoire. Pour arriver à ce niveau d’immersion, il y a la VR mais aussi l’AR, le son spatialisé… Une de nos dernières créations est l’installation d’une malle physique et dès que la personne touche un objet, un souvenir se déclenche à l’audio. Ce projet a été sélectionné cette année à Cannes XR Virtual et également au PiXii Festival, qui met à l’honneur les installations numériques lors des Sunny Side of the Doc à La Rochelle. Nous avons ouvert notre champ d’expertise…

Pour le côté culturel et artistique, je pense que cela a un avenir. Les gens ont envie d’être touchés par une expérience dans le sens littéral du terme. L’expression « toucher avec les yeux » change la donne avec l’immersion. Tout le monde va avoir envie de toucher l’œuvre d’art. Avec le confinement que nous venons de vivre, je n’ai pas de doute : la VR va s’étendre à tout ce qui concerne la formation et le télétravail. Avec la situation actuelle, les gens vont avoir besoin de s’évader et de plonger… Après trois ans d’existence, nous allons enfin pouvoir réussir à vivre de notre activité.

 

Quel est votre point de vue global sur les aides et subventions des œuvres immersives ? Leurs évolutions ?

Je suis très content de vivre dans un pays comme la France pour faire des arts qui ne rapportent rien à l’État ! Nous gagnions notre vie grâce aux subventions au début. Dès 25 ans, nous avons pu nous lancer et faire tout cela… c’est quelque chose. Sur une quinzaine de projets soumis au CNC, il n’y a qu’un seul projet où nous n’avons pas été retenus. C’est de la chance mais pas seulement.

Nous accentuons nos dossiers sur l’idée de modèle économique. Olivier Fontenay, qui est le nouveau chef de service à la création numérique au CNC, sait bien que ce n’est pas rentable, mais le CNC finance des projets immersifs pour qu’ils le soient d’ici une dizaine d’années et que la France puisse peser sur la scène internationale.

Il faut dès maintenant des projets avec des modèles économiques. Nous ne sommes ici plus dans une démarche de films d’auteurs, il faut y croire aussi financièrement. À terme, l’idéal serait de ne plus avoir besoin du CNC, comme pour l’industrie du jeu vidéo…

 

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans le métier et réaliser une première œuvre immersive ?

D’un point de vue global : croire en son projet, en soi-même et en ses idées quoiqu’il arrive. Dans la VR, comme dans la vie, mais particulièrement dans l’art, il faut avoir une volonté de fer. La VR en est encore à ses balbutiements. Nous sommes au début d’une révolution et d’un nouveau mode de narration immersive. Il est impossible d’écrire un « bon scénario ». Nous n’avons pas l’habitude des expériences immersives, c’est un nouveau langage, à la différence des films classiques avec lesquels nous avons grandi.

Mon conseil est de regarder beaucoup d’expériences et d’aller frapper à la porte des professionnels comme Charles Ayats ou Atlas V. Ce sont des nouvelles formes qui n’ont jamais vraiment été théorisées avant, il faut rencontrer des professionnels. Je dis cela avec le plus d’humilité possible.

 

C’est aussi cela qui est intéressant avec ces nouveaux formats : rencontrer et pouvoir échanger avec des profils très différents, réinventer constamment…

Exactement. Je ne pourrais pas retourner dans le cinéma traditionnel. Tous les horizons sont possibles. Avoir l’impression de faire partie de cette révolution, c’est exaltant !…

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.70/72. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.