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Les outils du montage. De la colleuse à scotch aux débuts du montage linéaire (Partie 1)

HISTORIQUE

Publié le 11/05/20

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Nous avons démarré un dossier dédié au montage par un article retraçant l’histoire de cette discipline publié dans le précédent et premier numéro de Moovee. Pour la suite de ce dossier, nous semblait naturel, avant de parler création, art et métier, de nous arrêter quelques instants sur les technologies du montage. Celles-ci ont vécu de multiples et profondes révolutions, depuis la manipulation physique de pellicules jusqu’au montage sur smartphone. Le sujet est, à lui seul, tellement vaste que nous le développerons en deux parties…

Salle d’assemblage et collage au studio Philadelphia de la Lubin Company. © DR

Premières techniques de prise de vue et projection de cinéma

La première « caméra argentique », née de l’imagination de Thomas Edison et dessinée par son bras droit franco-britannique William Kennedy Laurie Dickson, a été brevetée en 1891. Le kinétographe (du grec : écriture du mouvement) utilisait une pellicule 35 mm (Kodak) avec quatre paires de perforations par image avec un entraînement vertical. Les premiers films du duo Edison-Dickson, ainsi que ceux de leurs contemporains Louis Lumière, Georges Méliès et Alice Guy étaient composés d’une unique action filmée sur un bobineau d’une durée allant de 30 secondes à une minute. Après le tournage, les films étaient développés par « tirage contact ». L’action, nommée « scène » en anglais et « tableau » en français, était projetée au public. Le cinématographe des frères Lumière était un appareil tout-en-un : captation-tirage-projection. C’est Edison qui donna le nom de film au bobineau impressionné et ce sont deux de ses assistants qui ont effectué la première opération de montage volontaire.

Pour réaliser un effet de décapitation ils ont arrêté la caméra (cf. Moovee n° 1) ; quelques images devant être nettoyées suite à cette opération, la pellicule était coupée et collée après suppression des images surexposées. Le collage était effectué par soudure à l’acétone à l’emplacement de la barre noire séparant deux images. Le célèbre Georges Méliès a également opéré des arrêts de caméra pour la réalisation d’effets spéciaux d’apparition-disparition sous des volutes de fumée magique. Les films à succès devaient être filmés à nouveau (remake) ; les opérations successives de tirage par contact abîmant le négatif original. La taille limitée des pellicules a été augmentée grâce à une invention : la boucle de Latham. Mais la diffusion d’une unique scène avec un cadrage fixe est restée la norme pendant quelques années. La boucle de Latham permit le premier montage par les frères Lumière

Comme le souligna le célèbre historien du cinéma Georges Sadoul, Louis Lumière avait filmé quatre bobineaux de 60 secondes reconstituant l’intervention d’une équipe de pompiers : Sortie de la pompe, Mise en batterie, Attaque du feu et Sauvetage. Une fois la boucle de Latham inventée et adoptée au cinématographe, Georges Sadoul nous dit que ces bobineaux « quand le perfectionnement des projecteurs [permet] de les réunir en un seul, [constituent] le premier montage, un montage dramatique couronné par ce clou : une victime arrachée aux flammes ».

 

Montage photochimique

Le montage sur support photochimique (pellicule) se découpe en plusieurs étapes, qui ont évolué au cours du vingtième siècle. La première est le développement des films négatifs. Ils passent par différents bains de produits chimiques : révélateur, bain d’arrêt, fixateur et lavage. Une copie positive est ensuite générée à partir du négatif ; étape parfois accompagnée d’une opération de pré-étalonnage pour produire la copie de travail. Elle sera manipulée et découpée pour le montage, le négatif étant soigneusement conservé. Le montage commence par le repérage de la partie du plan qui sera utilisée, les première et dernière images des plans étant marquées directement sur la pellicule au crayon gras. C’est l’assistant monteur qui est chargé du travail de coupe et de collage.

 

Étapes de postproduction

Les étapes suivantes de la postproduction ont progressivement été mises en place : étalonnage, montage son et génération d’effets spéciaux. Après acceptation par les ayants droit, le laboratoire assemble le négatif dans le strict respect du montage de la copie de travail. Pour les films à faible diffusion, des copies d’exploitation pour la projection en salle sont générées directement à partir du négatif monté ; une étape intermédiaire (interpositif/internégatif – sorte de copie carbone) est utilisée en cas de plus large diffusion. L’enrouleuse reçoit les bobines du film montées.

La majorité des jeunes monteurs associe le mot chutier à de simples « dossiers informatiques », car c’est le nom donné à ces derniers dans la majorité des solutions de montage virtuel actuelles. Ce nom provient en fait d’un système basique utilisé lors des opérations de montage « pellicule » composé d’un « peigne » à clous supportant les plans en attente de montage, au-dessus de grands sacs en toile de jute recevant les chutes de pellicules.

 

La colleuse ou colleuse-monteuse

Selon le type de support, plusieurs techniques ont permis le collage entre deux morceaux de pellicule. La colleuse, ou colleuse-monteuse, a été créée pour affiner les opérations, originellement effectuées manuellement. Cette machine comporte un plateau et une pince ; les morceaux de pellicules étant maintenus en place via deux rangées crantées. Elle permet également la coupure franche de la pellicule. Pour chaque format sa colleuse : 8 mm, super 8 mm, 9,5 mm, 16 mm, 35 mm, 60 mm et 70 mm ! On peut couper tout type de pellicule : anamorphiques, avec ou sans son, etc. Différentes techniques de collage existent et avec elles différents appareils.

 

La colleuse à scotch

Elle fait usage d’un ruban adhésif fin et peut être mise en œuvre pour tout type de pellicule : à base de mylar, d’acétate, de nitrate ou de polyester. La copie de travail est habituellement assemblée ainsi car les changements de plans, les modifications de durées et toutes les opérations en cours de montage sont alors facilités. Pour des montages plus définitifs, cette technique présente des inconvénients de fragilité, notamment en cas de passage du film dans une solution de nettoyage. Il existe des scotchs perforés, plus onéreux et des scotchs « pleins » dont les perforations sont réalisées par la colleuse lors de l’assemblage. Le risque dans ce dernier cas tient à l’encrassement de l’appareil et au souillage de la pellicule par la colle du scotch manipulé.

 

La colleuse à colle

Une pellicule est composée d’un support souple transparent sur lequel est déposée une émulsion sensible à la lumière. Pour réussir un bon collage, il faut gratter l’émulsion d’un côté de la pellicule pour faire apparaître l’acétate qui la compose. La colle (film cement) utilise le même composé que la pellicule, dissout dans un solvant (souvent de l’acétone). Une fine couche est appliquée sur la partie préparée de la pellicule sur laquelle est pressé l’arrière de l’autre partie à assembler. Les films finaux sont assemblés avec cette technique qui n’est cependant possible qu’avec les pellicules à base d’acétate, de triacétate et de nitrate. Les films plus récents à base de polyester sont assemblés via…

 

… La colleuse à ultrasons

Elle est utilisée pour assembler des films polyester, notamment les microfilms qui utilisent cette technique pour éviter les ruptures avec les collages au scotch. Les ultrasons excitent les molécules de polyester, la chaleur générée faisant fondre les parties en contact pour les associer solidement.

 

1924 : la première table de montage, la Moviola

La première table de montage (nom donné aux premières machines dédiées à ce travail et qui a perduré avec les différentes technologies) était en fait une machine créée au départ comme projecteur, mais son tarif était trop élevé pour cet usage. C’est un monteur du Douglas Fairbank Studio qui imagina une autre fonction à la célèbre Moviola. C’est à cette date qu’elle fut inventée par Iwan Serrurier, et c’est Douglas Fairbank qui acheta le premier modèle. Fonctionnant comme une très grosse loupe permettant un visionnage solitaire du film en cours d’élaboration par le monteur, la plus populaire des tables de montage autorise le chargement d’une bobine de pellicule 35 mm d’une centaine de pieds, de 11 minutes. Le monteur pouvait ainsi visionner les plans et préparer des raccords précis. L’impossibilité de manipuler les bobines à haute vitesse était un handicap par rapport à des modèles qui sont apparus après elle.

Aux États-Unis, la Moviola a toujours connu un très grand succès, même si certains lui ont préféré à partir des années 70 des modèles européens qui permettaient une lecture à haute vitesse, jusqu’à dix fois la vitesse normale. L’entreprise hollywoodienne occupe toujours aujourd’hui un des étages de l’usine originelle.

 

L’utilisation des bancs de montage

Le premier film parlant, Le chanteur de jazz, est sorti en 1927. Sur les bancs de montage pellicule, les bobines images sont chargées sur des plateaux et entraînées mécaniquement simultanément à d’autres bobines magnétiques, réservées au son. Pour assurer la simultanéité de lecture du son et de l’image, le monteur trouve un point de synchronisation en lisant l’image à travers un prisme optique reflétant le film sur un écran et le son via une tête de lecture magnétique. Il marque alors les deux bobines, fait coïncider les traits et bloque la synchronisation des deux entraînements. Des modèles à six plateaux permettent le transport d’une bobine image et deux bobines son ; le modèle huit plateaux comporte deux bobines images. Et comme pour tout produit novateur à succès, des concurrents ont proposé leurs solutions alternatives.

 

Steenbeck, un premier concurrent européen à Moviola

En Europe, le constructeur allemand Steenbeck fut le premier à proposer une machine de montage de films 16 et 35 mm ; le son pouvait être lu optiquement ou magnétiquement. La technologie optique pour le son fonctionne via l’impression sur la pellicule d’une représentation visuelle de l’onde sonore, qui à son tour modulera les amplificateurs et haut-parleurs du banc de montage (procédé optico-électro-acoustique). Wilhelm Steenbeck a fondé la compagnie qui porte son nom en 1931 à Hambourg. Le nom de la compagnie est devenu un symbole du banc de montage.

 

En télévision on montait en pellicule !

Le succès des Steenbeck a été important, notamment au sein des stations de télévision, dont la BBC. Car oui ! Les émissions et reportages télévisés étaient montés en pellicule, avant que d’autres solutions ne soient inventées. Pour être diffusés, les films destinés à la TV étaient projetés et filmés par des caméras pour une diffusion en direct. C’est le principe même du télécinéma, dont les technologies ont évolué pour permettre une très bonne qualité de conversion des films vers le domaine numérique aujourd’hui.

La compagnie Steenbeck a été délocalisée aux Pays-Bas en 2003 et commercialise aujourd’hui encore des bancs de montage 8, 16 ou 35 mm. Elle propose également, pour les petites bourses, des bancs de montage d’occasion. Aujourd’hui ces machines sont essentiellement commercialisées et maintenues pour des actions d’archivage. La Steenbeck utilise une puissance lumineuse moindre, et le visionnage de films anciens sera beaucoup moins intrusif qu’avec des outils dédiés à la projection en salle. La douceur permise par les roulements en nylon qui équipent les Steenbeck est également appréciée des restaurateurs de films.

 

Les autres marques

Parmi les autres marques, citons KEM (Keller-Elecktro-Mechanik) également en Allemagne, Prevost en Italie, Moritone et Atlas en France, LEM en Grande-Bretagne et Oldelft aux Pays-Bas. La Moritone permettait une diffusion moins solitaire pendant les sessions de montage, car elle faisait usage d’un système de projection. Et KEM proposait des solutions modulaires comportant jusqu’à trois têtes images et trois pistes audio.

 

Il était une fois la télévision

On associe volontiers la pellicule à la magie du Septième art. Mais la petite lucarne a fortement participé au développement de solutions de montage. La première diffusion télévisuelle broadcast en bonne résolution (signal de 405 lignes) a eu lieu le 2 novembre 1936 au Royaume-Uni depuis un pylône situé sur le toit des studios de l’Alexandra Palace. La guerre a malheureusement freiné ces technologies, qui furent en sommeil jusqu’en 1948 lorsque la première télévision émettant depuis les États-Unis connut un très grand succès comme celles qui l’ont suivie au cours des années 50. Aucune solution ne permettant encore l’enregistrement vidéo, tout était live ! Plusieurs caméras pouvaient déjà être utilisées pour filmer la même scène, les flux vidéo étant choisis via un mélangeur, et le programme directement diffusé.

 

Le kinescope filme la télé !

L’unique solution de sauvegarde des programmes télévisuels était le kinescope, un appareil de qualité limitée qui filmait sur support pellicule un écran vidéo : malgré des phénomènes d’images fantômes et de dégradés sur l’image le système fut d’une grande importance pour la mise en place des « networks » télévisuels. En 1951, CBS et NBC étaient localisées sur des côtes dont les fuseaux horaires étaient décalés de trois heures ! Un programme commun diffusé en live à 20 h à New York, était « kinescopé » puis diffusé de nouveau à 20 h, cette fois-ci à Los Angeles. Le procédé portait le nom de « hot kinescope »… les pellicules n’avaient pas même le temps de refroidir après leur développement.

 

Premiers magnétoscopes

En 1954, la demande était telle que les réseaux TV américains utilisaient plus de pellicules que l’ensemble des studios hollywoodiens réunis. L’attente d’une solution alternative de la part du milieu de la télévision était très grande pour réduire les astronomiques investissements en pellicule, mais l’adaptation de la technologie d’enregistrement sur bande magnétique, utilisée depuis longtemps pour le son, au domaine de la vidéo, était un vrai challenge. En 1951, les tests des ingénieurs de la compagnie de production de Bing Crosby ne donnèrent pas satisfaction, mais ouvrirent la voie.

Et c’est en 1956 que les magnétoscopes Ampex VR1000 2 pouces quadruplex firent leur entrée en scène, et avec eux le montage vidéo arriva !!! Les ventes de l’appareil atteignirent des sommets dès sa présentation au NAB, il est même dit que les commandes étaient tellement nombreuses qu’elles étaient signées sur des nappes ! Le VR1000 enregistrait un signal noir et blanc et une piste audio monophonique, sur une bande magnétique de deux pouces de large, soit un peu plus de cinq centimètres. Les quatre têtes d’enregistrement vidéo tournaient perpendiculairement à la bande.

 

Montage avec les premiers magnétoscopes vidéo

Les plus vieux d’entre nous ont connu le montage sur bandes magnétiques dans des cassettes vidéo, mais il doit être difficile de trouver encore en activité des monteurs ayant découpé et monté des bandes magnétiques « libres ». Car avec ces premiers matériels, on montait sur bande un peu comme sur pellicule. Il fallait repérer les transitions, avant de découper et d’assembler la bande au scotch. « Attention à ne pas s’emballer trop vite » : les possibilités de montage de ces premiers matériels vidéo étaient loin d’égaler celles permises sur pellicule.

Qualitativement, la coupe était très délicate à opérer, et les résultats très souvent chaotiques. Il était en effet à cette date impossible de mémoriser une image vidéo, les coupes se faisaient donc sans retour vidéo. Pour espérer pouvoir réussir les coupes et l’assemblage des deux morceaux de bande, l’opérateur devait couper à un endroit très précis dans le respect du signal vidéo. Pour repérer cet endroit, il fallait appliquer sur la bande une solution de tetrachloride de carbone (ferro fluide), toxique et cancérigène. Elle permettait une sorte de développement de la bande magnétique pour mettre en avant les particules magnétisées, la coupe se faisant avec une colleuse spécialisée utilisant un microscope.

Les premiers montages effectués avec ce procédé étaient complexes, onéreux et peu satisfaisants ; ils sont restés essentiellement destinés à des opérations d’assemblage et de préparation de la diffusion. Après avoir utilisé les techniques du montage « à la coupe », il a très vite été question de bénéficier pleinement des nouvelles technologies électroniques et d’effectuer le montage vidéo avec une méthode plus avancée…

 

… Le montage linéaire

À partir de deux magnétoscopes, on assemble les uns à la suite des autres – linéairement – des plans à partir d’un lecteur, sur un enregistreur. Les prémices des futures technologies à succès de la vidéo étaient là ; il manquait encore quelques évolutions électroniques, notamment pour être sûr du bon raccord entre les deux signaux. Avec les premiers magnétoscopes, l’erreur n’était pas permise. Le monteur devait appuyer sur le bouton d’enregistrement précisément une demi-seconde avant qu’il ne commence, et il était impossible d’effacer le signal sur les bandes.

L’enregistreur Ampex Editec a été développé dans ce sens en 1963, en intégrant un microprocesseur permettant de programmer des points d’entrée et de sortie pour des opérations de montage via des signaux sonores. Avec l’Editec il était pour la première fois possible de monter à l’image près, de prévisualiser les montages et de les modifier. Le nom de cette technique l’explique, le montage linéaire interdit de se tromper pendant le montage. Une fois plusieurs plans assemblés, il est impossible d’insérer d’autres plans au milieu de la séquence sans devoir recommencer les opérations déjà effectuées. Les stations de montage utilisant au départ un lecteur et un enregistreur ont progressivement évolué, avec l’utilisation de plusieurs lecteurs, des contrôleurs, et des mélangeurs audio et vidéo permettant la réalisation d’effets et de transitions.

 

La suite de cet article sera publiée dans le numéro 3 de Moovee, daté de avril-mai-juin 2020.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.72/76. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.