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King of sea : un film de Stéphane Berla sur une musique de Kwoon
ANIMATION
Publié le 01/11/22
Rédigé par Aurélie Gonin
Le court-métrage d’animation King of Sea est le fruit d’une véritable collaboration entre un musicien et un réalisateur.
Le musicien, c’est Sandy Lavallart, fondateur du groupe Kwoon, mêlant rock progressif et ambiant. Il sort un premier album en 2006, Tales and dreams, sur lequel figure le titre « I lived on the moon » dont le clip, réalisé par Yannick Puig, dépasse le million de vues sur Internet. Cette notoriété internationale entraîne une série de concerts en France et dans une quinzaine de pays, pour laquelle Sandy s’entoure de musiciens. Après des années de collaboration, le groupe marque une pause en 2015. Sandy revient seul fin 2019 pour entreprendre une série de lives en pleine nature, depuis des lieux isolés et majestueux, filmés avec un drone et des petites caméras, dans la même idée que les concerts de Le Cercle. Il s’invite ainsi sur les volcans de Lanzarote ou au sommet de l’Aiguille du Triolet, dans le massif du Mont Blanc, pour rendre un hommage personnel aux merveilles de la nature, en faisant la part belle à l’immensité et au grandiose. Il prône ainsi « l’amour de la nature et du partage, entre élévation et immersion ».
Le réalisateur, c’est Stéphane Berla, qui très jeune a développé un sens de la débrouille et de l’expérimentation graphique. Après des études à l’ESRA, il devient graphiste puis directeur artistique, tout en créant à côté ses premiers courts-métrages, puis des publicités et des clips pour des artistes aux univers marqués tels que Dionysos, Matthieu Chedid, Matmatah ou Gaétan Roussel. Amoureux d’expérimentations visuelles en tout genre, Stéphane aime mélanger les techniques d’animation (2D, 3D, stop motion en pâte à modeler ou avec des marionnettes). Ses films sont sélectionnés et récompensés dans de nombreux festivals internationaux (César, Berlinale, Clip d’Or à Protoclip, Grand Prix du Festival International de clips, Anima…). Ces succès l’incitent à s’essayer au long-métrage en coréalisant avec Mathias Malzieu Jack et la mécanique du cœur, sorti en 2014.
Stéphane et Sandy se sont rencontrés au centre Georges Pompidou en 2008 lors d’un festival de clips. Le réalisateur a eu un véritable coup de foudre pour le clip de « I lived on the moon », quand le musicien a adoré « Tais-toi mon cœur », clip réalisé par Stéphane pour le groupe Dionysos. Partageant le même goût pour les univers poétiques teintés de noirceur et de mélancolie, les deux artistes sont devenus amis et ont décidé de mettre leurs talents en commun pour créer quelque chose ensemble. C’est ainsi que Stéphane a réalisé le clip de « Megalo Meloman », dans lequel Sandy se trouve démultiplié en une infinité de musiciens jouant de planète en planète : « Nous en sommes très fiers, mais c’était plus une expérimentation folle qu’un véritable clip comme nous rêvions de le faire. » Le duo ne pouvait donc pas s’arrêter là.
L’occasion de concrétiser leur désir de faire ensemble un film d’animation musical ne s’est présentée qu’à l’issue du premier confinement. Pendant celui-ci, Stéphane avait pu mettre en pratique ses dernières expérimentations graphiques sous la forme d’un court-métrage d’animation devenu viral sur Internet : Mad mask, fury roll, dans lequel il a détourné l’univers de Mad Max, fury road pour se moquer de la ruée sur le papier toilette ayant hélas marqué cette période. Quant à Sandy, il venait de démarrer son projet consistant à jouer sa musique en direct dans des endroits insolites et projetait de se faire déposer en bateau sur le phare maudit de Tévennec. Situé à la pointe ouest de la Bretagne, sur un rocher battu par les vagues générées par de forts courants marins, le lieu a vu sombrer dans la folie ou mourir étrangement ses gardiens. Ces événements tragiques lui ont donné la réputation d’être hanté, ce qui a inspiré Sandy plus que ça ne l’a effrayé.
Il a composé pour l’occasion une chanson narrant l’histoire d’un marin qui voulait s’échouer au pied de ce phare mythique pour ne pas se faire avaler par la mer, et a fait appel à Elisabet Maistre, chanteuse du groupe Dionysos, pour l’interpréter. Ce morceau a particulièrement touché Stéphane : « Plus j’ai écouté cette chanson et plus je me suis senti submergé par son émotion, sa puissance et son aura tout autant poétique que cinématographique. Les paroles m’ont inspiré une histoire. Je l’ai imaginée comme une légende bretonne que les marins se raconteraient les soirs de tempête et qui par sa force méritait une approche visuelle ambitieuse et novatrice que j’ai essayé de proposer. »
Ainsi le scenario suit le destin d’une famille bretonne : un marin fait ses adieux à sa femme et à son fils bien-aimé, il doit partir en mer pour un voyage dont il ne reviendra pas. Des années plus tard, ce garçon devenu marin et père à son tour doit lui aussi prendre le large. Son périple l’entraîne dans les profondeurs sous-marines, où il est rattrapé par une figure du passé et fait la rencontre de la sirène qui hante sa famille… « Au-delà du conte, il était important pour moi de raconter une histoire de filiation tout en m’interrogeant sur la notion de destin. Quoi que nous fassions, nous resterons liés par les tripes et le cœur à nos parents. » En s’appuyant sur la chanson de Kwoon, le réalisateur souhaite aborder des thèmes universels, et rendre hommage aux romans qui ont bercé son adolescence : « Je souhaite évoquer cette sensation de glissement vers la folie qu’expérimentaient les personnages des histoires fantastiques de Maupassant et de Poe, mais avec une approche plus délicate et émouvante, notamment grâce à la distanciation graphique qu’apporte l’animation ».
Pour créer l’univers visuel du film, Stéphane s’est immergé dedans à l’aide d’un casque VR : « J’ai acheté un casque VR d’occasion il y a quelques années car je voulais faire l’expérience de cette technologie qui me faisait rêver depuis que j’étais gamin. Ce qui n’était qu’un délire de science-fiction était devenu une réalité et je devais essayer. Passé les quelques jeux fournis avec le casque, je me suis intéressé aux outils de création et ça a été un véritable coup de foudre. J’ai tout de suite compris que l’avenir de la 3D se jouait ici. » Pour la première phase de fabrication du clip, celle de la conception de l’animatique 3D et des personnages, il s’est servi du logiciel Quill qui permet de dessiner en volume autour de soi. Celui-ci pourrait s’apparenter à TV Paint, mais pour la 3D : le principe est de dessiner avec des boudins de pâte à modeler dans l’espace, qu’on peut faire évoluer image par image en posant des clés d’animation. Parfois, Stéphane utilise aussi Médium, un outil plus dédié à la sculpture qui ressemble à Zbrush. Il est plus précis que Quill mais ne permet pas de faire d’animation, donc il sert plutôt pour les décors.
Le réalisateur se place ainsi au cœur du film qu’il est en train de créer, ce qui est une expérience particulière : « Même si la technologie et les logiciels sont encore balbutiants, la VR me semble bien plus adaptée que les outils traditionnels pour travailler des volumes. On voit en stéréo, on a donc une meilleure perception de l’espace et on peut travailler directement avec ses mains plutôt qu’avec une souris ou une tablette qui sont conçues pour fonctionner en deux dimensions. Ce que j’apprécie principalement c’est que cela ramène de l’instinctif et de l’artisanal dans le monde hyper technique de l’image de synthèse. Les logiciels 3D sont devenus des usines à gaz tellement sophistiqués qu’ils limitent selon moi la créativité. Celle-ci a besoin de lâcher prise, d’instinctif. »
Une fois cette étape effectuée, l’équipe menée par Stéphane a importé les différents assets dans Blender sous forme d’Alembics pour y appliquer les matériaux, les texturer, ajouter les éclairages et les effets de caméra qui donnent du réalisme à l’animation (travellings, rattrapages de point, contre-jours…). La décoratrice Léa Peirano a sculpté virtuellement les décors, tandis que les animatrices ont donné vie aux personnages. La puissance des moteurs de Cycles permet de prévisualiser le rendu presque final en temps réel, et ainsi de tout caler en direct en se passant (quasiment) du compositing, ce qui est un gros gain de temps.
Stéphane a grandement apprécié la liberté offerte par cette technique : « Je n’opposerais pas les différentes techniques d’animation, que j’adore également. Mais ces outils ouvrent un nouveau territoire très excitant. Ils associent l’expressivité de la 2D, le rendu artisanal et organique de la stop motion, la liberté de mouvement et d’éclairages de la 3D, mais aussi le côté instinctif de la marionnette pour certaines animations car le mouvement de mes mains peut être enregistré en temps réel. Cette méthode de travail est très complète et réunit ce que je cherchais depuis toujours dans les autres médiums. »
Il précise : « Si on accepte les nombreuses limitations, la contrepartie esthétique et le lâcher prise que cette méthode de travail implique, il y a un véritable atout. Les outils 3D sont devenus avec le temps extrêmement sophistiqués, hyper spécialisés et rigides. Ils produisent par défaut un contenu parfait d’un point de vue mathématique, et notre rôle en tant que réalisateurs, animateurs ou autres, est de rendre tout ça humain. C’est un lourd travail, jonché d’étapes qui n’ont rien à voir avec l’artistique et qui sont très coûteuses. A contrario, si on doit faire la même chose en stop motion, il faut des studios de tournage spacieux pour les décors, fabriquer des marionnettes avec un squelette métallique pour les animer, puis rajouter dans tous les cas des effets pour compléter l’image. Le coût est rapidement élevé. Travailler en VR me permet de ramener instinctivement de l’humain, sans les contraintes physiques d’un tournage stop motion. »
Ce sont ainsi des outils de VR qui servent à créer un film pourtant en deux dimensions. Pour développer le récit dans le volume, il aurait fallu fabriquer des décors à 360 degrés et ajouter de nombreuses animations pour les faire vivre sous tous les angles. Travailler sur un film en 2D a permis à Stéphane de jouer sur les matières, éclairages, flous d’objectif, etc. Plutôt que d’aller vers une expérience sensorielle, c’est vers davantage de réalisme qu’il cherche à aller : « Pour les prochains projets, j’aimerais améliorer mes éclairages et tendre le plus possible vers le photoréalisme, voire d’intégrer ces animations dans de l’environnement réel, ce que j’ai pu faire dans d’autres projets avec un workflow différent. J’ai toujours cherché à gommer la frontière entre le réel et l’imaginaire, j’aime que l’œil du spectateur ne sache pas comment les choses sont faites, ce qui l’amène plus facilement à lâcher prise et suivre l’histoire plutôt que de s’attarder sur la technique. J’ai aussi plus une culture de cinéma en live ou de stop motion que d’animation CGI (Computer Generated Imagery) classique. » Voilà pourquoi on retrouve un look stop motion dans King of Sea, qui semble avoir hérité des différentes techniques d’animation.
Stéphane réfléchit à un second long-métrage, en parallèle d’une série qu’il développe actuellement avec Ubisoft. Mais il ne délaissera pas l’univers du clip pour autant : « J’ai toujours vu le clip comme un terrain de jeu pour expérimenter de nouvelles choses, explorer de nouvelles pistes artistiques. » Il assure que de nouvelles collaborations avec Kwoon verront le jour, sans savoir pour l’instant sous quelle(s) forme(s). En attendant, on ne se lasse pas de visionner King of Sea (disponible sur YouTube), d’être touché par ce chant, de s’émouvoir devant le destin tragique de cette famille de marins et d’apprécier la beauté de l’univers créé par la rencontre entre ces deux artistes.