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Comment, quand et pourquoi devient-on monteur ? (II)

PARCOURS

Publié le 14/09/20

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Après s’être entretenu avec Anne-Sophie Bion (partie 1 de cet article publiée lundi dernier ), Moovee met ici à l’honneur Damien Labbé, autre grand monteur français.

« Hors Normes Jour Après Jour » de Thomas Raguet, monté par Damien Labbé. © Damien Labbé

Parmi les films sur lesquels tous deux ont travaillé, figurent Sept à huit, L’Effet Papillon, Secrets d’histoire, Women Are Heroes, Stars 80 et The Artist.

 

Bonjour Damien, qu’est ce qui t’a donné envie de faire du montage ?

Depuis tout petit, vers l’âge de 7 ans, j’ai voulu faire de l’audiovisuel. À l’occasion de la visite d’un studio TV reconstitué pour les enfants, à l’inventarium de la Cité de La Villette de Paris, j’ai été fasciné par la régie et le métier de réalisateur ! Club vidéo au collège et Bac cinéma, j’étais passionné ! Mais également pragmatique : pour gagner ma vie il fallait que je m’oriente vers un autre métier ! Lorsque j’ai fait l’ESRA (école d’audiovisuel) de 1999 à 2002, je me suis dirigé vers la troisième année de spécialisation en production pour survoler l’ensemble des métiers et chercher ma voie.

Lors de mes stages de fin d’études, j’ai préparé des revues de presse chez Catherine Barma à l’époque des émissions Tout le monde en parle et On a tout essayé, puis j’ai été embauché en tant qu’assistant de la présentatrice Daphné Roulier sur l’émission Plus Clair de Canal+.

Au bout de deux ans et demi, après 200 émissions, je comprenais les métiers du tournage : les ingénieurs visions, les cadreurs et la scripte. Mais un métier, qui semblait primordial aux yeux de tout le monde, me restait étranger : la postproduction. J’ai décidé de me former au montage sur le logiciel Avid Media Composer, pendant trois semaines, à l’INA. Je bouclais la boucle et retrouvais dans la salle de montage, ce qui m’avait fait fantasmer dans cette régie à 7 ans : la possibilité de changer les plans.

 

Après cette formation, tu es immédiatement devenu monteur ?

Comment pouvais-je revenir en septembre après seulement trois semaines de formation, en me prétendant monteur, alors que les gens me connaissaient comme assistant de production ? Je travaillais dans la société d’Olivier Fogiel. On m’a gentiment proposé de monter les boucles qui passent dans les écrans derrière les animateurs. Après avoir gagné en efficacité, ils m’ont confié une rubrique sur les sorties cinéma de la semaine, puis de vrais sujets.

Après deux ans à évoluer dans des conditions idéales, sans pression, la seule société de production pour laquelle je travaillais a subitement fermé. Je pensais que tout était fini ! Ce fut le contraire ! Tous mes collègues se trouvant disséminés dans toutes les boîtes de Paris, leur avaient conseillé mon nom. Les parcours en audiovisuel se créent souvent au gré des rencontres et de la chance.

 

Qu’est-ce que tes études t’ont apporté ?

Nous exerçons un métier où s’entremêlent la technique et l’artistique. Les formations universitaires de cinéma enseignent la culture de l’image, mais très peu la technique. Dans les BTS ou les écoles privées de cinéma et d’audiovisuel, ce sont au contraire essentiellement les aspects techniques permettant aux étudiants d’être opérationnels qui sont enseignés.

Les employeurs favorisent les candidats maîtrisant la technique à ceux qui portent un regard « hyper pertinent » sur les films. Bien sûr que la culture de l’image et le sens artistique sont importants, mais je suis persuadé qu’avec une certaine curiosité et une vraie motivation on peut la développer.

 

En quelques mots, qu’est-ce que le montage ?

La salle de montage est à l’audiovisuel ce que la cuisine est à un restaurant, la même matière première peut donner naissance à un plat fade et insipide ou à une œuvre mémorable. Tout l’art du montage consiste à raconter une histoire, à en choisir le rythme, et surtout à sublimer les ingrédients filmés. En montage documentaire, on donne un sens particulier à la matière dans la manière de juxtaposer des morceaux de réponse les uns derrière les autres.

 

Sur quels types de montages travailles-tu ?

J’ai la chance d’explorer un univers éclectique : reportages, magazines, télé-réalités, spectacles vivants, courts-métrages de fiction et documentaires. En magazine l’essentiel du travail de montage est centré sur la forme, très chartée. On travaille avec un journaliste qui écrit son commentaire et choisit ses interviews. La télé-réalité est une très bonne école de montage.

À l’époque de la Star Academy, le montage des « quotidiennes » de 40 minutes diffusées à 19 heures débutait la veille à 13 heures. L’histoire était construite à partir des rushes disponibles au fur et à mesure. Souvent un événement intéressant se passait tard le soir nous obligeant à reconstruire le montage. Ces nuits blanches ont grandement participé à l’apprentissage de mon métier, les principes narratifs sont communs à la fiction, au documentaire et dans une certaine mesure au spectacle vivant. Nous travaillons à donner un caractère aux personnages et à faire vivre une histoire !

 

Sur les magazines, le monteur travaille avec un journaliste, sur les documentaires et en fiction avec un réalisateur, et en télé-réalité ?

Pour la Star Academy, nous travaillions en quasi autonomie, directement depuis le château. L’ensemble des « tapis narratifs » était enregistré depuis les confessionnels, mais ayant les participants sous la main, nous pouvions demander aux journalistes une phrase importante ! Au cinéma les dialogues soutiennent l’histoire. Dans un magazine c’est la voix du journaliste. En télé réalité ou en documentaire, ce sont les interviews. À l’occasion d’un documentaire sur l’incendie de Notre-Dame un pompier dit : « Et à ce moment- là, la flèche tombe », ça donne du poids aux images.

Pour les émissions de divertissement quotidiennes, un monteur prend en charge un épisode, un chef d’édition gère deux ou trois épisodes et le rédacteur en chef chapeaute l’ensemble. C’est le cas pour les émissions quotidiennes comme Les Reines du shopping, Bienvenue chez nous, Quatre mariages pour une lune de miel et Le Dîner presque parfait. Pour ces productions, les deux mondes du tournage et de la postproduction sont complètement séparés.

 

Tu travailles sur de nombreux types de production. Combien de temps prend le montage de ces différents produits ?

Cela dépend du budget. Quatre à cinq semaines sont allouées au montage d’un documentaire d’une heure, deux mois pour un documentaire de 90 à 110 minutes, et un épisode de télé-réalité de 44 minutes est monté en treize jours.

Des produits liés à l’actualité peuvent imposer des temporalités différentes ; mon record : 120 minutes montées en trois jours et deux nuits pour un documentaire sur le Tour de France diffusé deux jours après le départ. Nous avions très peu de temps pour dérusher les images, les journalistes nous communiquaient par textos les heures où des choses intéressantes s’étaient déroulées. Certains commentaires ont été écrits pendant le mixage final !

 

Peux-tu nous parler du côté psychologique du métier de monteur ?

Il y a deux manières d’entrer sur un projet, via le réalisateur ou la production qui vous fait confiance : moi, il m’arrive souvent de rencontrer le réalisateur à la machine à café. La psychanalyse commence quand il me raconte l’histoire et le déroulé du tournage. L’inquiétude est souvent palpable, je le rassure : « On trouvera toujours une solution ».

Être absent au tournage m’apporte une grande objectivité. Ignorant l’affect lié au vécu de la production qui fausse souvent la vision du réalisateur, je suis aussi sévère devant les images que le spectateur. Moi comme lui, n’avons pas vu ce qui se passe en dehors du cadre, et on s’en fout ! Ce qui m’intéresse c’est l’émotion à l’écran. La chose la plus importante pour un monteur c’est de rester du début jusqu’à la fin du montage, le premier spectateur.

 

Souhaites-tu parfois t’émanciper du réalisateur ?

Des divergences de points de vue peuvent naître, surtout sur les projets très importants. Pour L’Étincelle, un documentaire sorti en salles qui parle de l’histoire des luttes LGBT, j’ai travaillé avec le réalisateur Benoît Masocco, qui était très impliqué. Nous n’avions pas toujours la même vision des choses, mais nous sommes très amis et il m’a choisi aussi pour mon ressenti d’hétéro afin d’éviter l’écueil communautaire.

Le rapport entre le monteur et le réalisateur est aussi une histoire de couple. Mais même si notre travail narratif est important, le film reste l’œuvre du réalisateur. Mon travail devient psychologique lorsque je dois comprendre ou traduire ses volontés. Dès le début du montage, je commence à balayer très vite les rushes pour recueillir auprès de lui de très précieuses informations. Je prépare les compromis entre ses attentes et la matière disponible.

 

Est-ce que, pour toi, l’action de monter est différente selon le type de production ?

Il s’agit de raconter une histoire avec des images et des sons ; mais les produits sont différents. Pour une pub, par nature très courte, il faut apporter plein d’informations et isoler dans le plan la partie informative la plus courte. Les montages sont différents, mais les principes généraux sont identiques : dans quel ordre les plans sont-ils assemblés, à quel rythme, comment raconte-t-on l’histoire ?

 

Est-ce que tu travailles avec des assistants ?

J’ai pu choisir seulement trois ou quatre fois mes assistants. Ils sont souvent liés au prestataire de postproduction et parfois à la production. Ils sont chargés de l’acquisition des médias, des synchros sons et des exports. Je ne fais aucune préparation technique, hormis la bonne organisation de mes pistes dans ma timeline de montage. Je conseille plutôt aux aspirants monteurs de proposer leurs services d’assistants aux sociétés de production : côtoyant de près les journalistes, monteurs et réalisateurs, le passage au montage sera plus naturel.

 

Peux-tu nous présenter les différentes phases du montage et leur importance relative ?

Je commence par survoler les rushes et ranger le projet selon ma méthode, par thématiques. À la différence de la fiction, nous n’avons pas de scénario, mais j’aime bien demander au réalisateur de me découper le film par séquences.

Ensuite arrive l’étape la plus rébarbative, mais la plus importante : le dérushage des interviews une par une. Je prépare de longues séquences avec les parties intéressantes (des bouts-à-bouts) avant de les élaguer et de trier les répétitions et les parties qui se répondent. Pour chaque séquence, une fois l’ossature obtenue je commence à les illustrer et à monter les ambiances musicales.

Lorsque j’ai monté environ 60 % des séquences, je les assemble pour obtenir une première trame, un premier gros ours mal léché qui permet d’appréhender la forme du film ; c’est une phase réconfortante ! Après l’étape de narration vient le travail du style : choix de musique, illustrations, passage entre les séquences.

 

Quels nouveaux challenges souhaites-tu relever ?

Mon objectif à moyen terme est de participer à la création de documentaires de qualité qui apportent quelque chose à la société. À plus long terme je souhaiterais monter une fiction qui sorte en salle.

 

Y a-t-il une patte Damien Labbé ?

J’ai débuté à une époque où on utilisait beaucoup d’effets ou de trucs, on me disait reconnaître mes montages. Aujourd’hui je travaille sur des montages plus « transparents ». Notre travail est bien fait s’il est invisible. Lorsqu’il est tellement fluide et naturel qu’on n’imagine pas un autre montage : c’est le graal.

 

Quel rapport entretiens-tu avec l’outil de montage que tu utilises principalement, Avid Media Composer ?

J’ai appris le montage en même temps que j’ai appris Avid, la philosophie du logiciel et la philosophie du montage sont donc pour moi intimement liées. À chaque fois que j’utilise un autre logiciel, j’ai tendance à le tordre au maximum pour retrouver mes habitudes. J’ai, un peu inconsciemment, épousé la philosophie du montage proposée par les développeurs d’Avid. Je lis la timeline comme une partition et j’utilise de nombreux codes couleurs selon les types de plans (drones, archives, etc.) ; cela me permet de juger du rythme en regardant la timeline.

Le bon logiciel de montage c’est celui avec lequel le monteur est à l’aise et fait corps. J’accorde beaucoup d’importance aux raccourcis clavier. Comme un pianiste, je sais exactement ce qui va se passer lorsque j’appuie sur une touche, je ne réfléchis plus qu’artistiquement.

 

Quelle est ton opinion sur le travail en distanciel mis en place avec le covid19 ?

Le relationnel et le lien psychologique avec le réalisateur au travers d’outils de communication distanciels est très compliqué. On ne peut comprendre efficacement ses intentions que lorsqu’on travaille à ses côtés. L’installation des machines de montage à la maison peut plus facilement s’envisager à la campagne qu’en région parisienne !

 

Quels sont les films que tu conseillerais à un aspirant monteur ?

Le premier qui me vient en tête c’est Trainspotting. Si certaines séquences poussent loin les effets et rendent le montage très visible, même les séquences d’apparence très classique comme un simple champ/contrechamp sont très subtiles. Je me souviens d’une séquence à la sortie du tribunal : tout le monde est autour d’une table, quelqu’un arrive et se fait dégager par les autres. Le jeu des plans larges pour montrer sa séparation du groupe et l’enchaînement des plans serrés suivants sont superbes. Cette séquence est certainement plus caractéristique d’un bon montage qu’une séquence d’action, qui peut être une très belle chorégraphie bien sûr.

La série Bref de Canal+ est, elle aussi, un véritable cours de montage renouvelé à chaque épisode ; avec de très belles ellipses et une grande fluidité. Montés différemment, les modules auraient pu durer 16 minutes ; montés plus rapidement ils seraient devenus épileptiques.

 

Retrouvez la première partie de “Comment, quand et pourquoi devient-on monteur ?” ici

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.100/108. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.