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Spycies, l’animation mi made in France et made in China

COPRODUCTION

Publié le 24/08/20

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Spycies, troisième long-métrage de Guillaume Ivernel, est un projet ambitieux. Développé à l’initiative de la société Lux Populi, le film a été fabriqué en France et en Chine.

En animation, pour dépenser le moins d’argent possible et être le plus efficace, le secret réside dans la préparation, indique Guillaume Ivernel. © DR

Réalisateur de films d’animation, Guillaume Ivernel est passé par la case décorateur, puis producteur artistique pour Ballerina avant de devenir, il y a un peu plus de dix ans, réalisateur en signant Chasseurs de dragons aux côtés d’Arthur Qwak. Avec son troisième long-métrage Spycies, il signe une production chinoise…

« Avec le producteur, nous avons cherché les meilleurs talents présents dans chacun des pays. Du coup, nous avons conçu toute une partie du film en France et une autre en Chine. Les différentes sociétés qui ont travaillé sur ce film se sont tout de suite mises d’accord sur la manière dont il fallait le fabriquer. Ce consensus nous a permis de parvenir à un résultat parfaitement abouti dans des délais assez courts. Nous avions un budget de 12 millions d’euros, ce qui peut paraître conséquent, mais il faut savoir que les films américains du genre avoisinent 130-150 millions de dollars », mentionne le réalisateur avant d’entrer dans le détail de la fabrication de ce film…

 

L’approche graphique et la prévisualisation, clés de voûte du projet…

« Avec Chasseurs de dragons, j’avais développé des personnages cartoon semi-réalistes. Ici j’ai opté pour des d’animaux que j’ai intégrés dans des univers texturés et photo-réalistes. Ce style offre au spectateur une image au croisement de l’animation et des prises de vues réelles.

Avec la complicité de la société Androids Associés, j’ai pu exploiter le potentiel de la prévisualisation avec des caméras de prises de vues réelles à l’identique de ce que l’on peut voir dans les films américains. Cette approche m’a permis de parvenir à ce qui m’intéresse le plus dans le monde de l’animation : transgresser les règles ! », souligne Guillaume Ivernel, puis il poursuit : « Pour produire ces images nous n’avons pas développé d’outils révolutionnaires. Par contre, depuis dix ans, mon cheval de bataille est le travail sur la prévisualisation en phase de préparation.

En animation, pour dépenser le moins d’argent possible et être le plus efficace, le secret réside dans la préparation. Si on prépare bien un film, on peut le réaliser dans des budgets relativement réduits, notamment avec ce que l’on appelle la préviz. Avant même de commencer le film, cette technique permet de prévisualiser en 3D le montage et tous les mouvements de caméra. Pendant cette étape, les corrections ne coûtent pas très cher et le film est, en quelque sorte, presque terminé alors que l’on n’a pas commencé à le fabriquer !

Si les grosses productions décident parfois jeter des séquences entières en phase de finishing, les projets sur lesquels je travaille ne peuvent s’offrir un tel luxe, aussi cette approche technique offre un intérêt majeur. »

 

Photoshop, un langage universel !

Du fait du barrage de la langue et des deux cultures, tout aurait pu être très compliqué en termes de dialogue avec les studios chinois, pour la fabrication, mais la méthode adoptée par le réalisateur a rendu les échanges très fluides… « J’ai choisi d’échanger en corrigeant les images avec Photoshop. Les Chinois étaient ravis, parce que tout était très précis et très clair. Quand je leur envoyais des éléments, j’essayais d’être le plus concis possible sur mes corrections. Du coup, tout a très bien fonctionné. Il faut savoir que le patron du studio chinois Lux Populi à l’initiative du projet est français. Notre collaboration a été plutôt très agréable et très fluide. »

 

Une optimisation des ressources

Le décalage horaire et la distance, qui pouvaient apparaître comme des handicaps, se sont révélés un avantage, comme l’explique Guillaume Ivernel… « Pendant que nous dormions, les Chinois travaillaient, et inversement. Le matin, quand j’arrivais au travail, j’avais les plans qui avaient été fabriqués en Chine pendant la nuit. Je les corrigeais sur Photoshop et leur envoyais mes éléments le soir, et à leur réveil, ils avaient mon retour. Du coup, nous avons gagné un temps précieux. Alors que deux ans et demi, voire trois ans, sont habituellement nécessaires pour réaliser un tel film, nous l’avons conçu en seulement vingt-deux mois, ce qui est très rapide ! Ensemble, nous avons ainsi travaillé, je ne dirais pas en 3×8, mais au moins en 2×8 ! »

 

Le pipeline en détail

Quelque 250 à 300 personnes ont travaillé sur le film. La création graphique, les personnages, le découpage ont été faits en France ainsi que la prévisualisation. « Tous les plans et le travail des caméras ont été produits chez Les Androids Associés. Une partie du scénario a été conçue chez nous, l’autre par les Chinois. Culturellement, nous nous devions d’être raccords, le film étant appelé à être distribué en Chine comme en France. En France, l’animation a été confiée à Jungler. En Chine, Lux Populi a fait le reste, c’est-à-dire le modeling des personnages. Toute la fabrication des décors, tout le travail sur la lumière ont aussi été réalisés là-bas. Je suis très content du résultat parce que j’ai une qualité d’image qui est la même que celle que j’aurais pu avoir en France. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec ces équipes chinoises », se remémore Guillaume Ivernel.

 

Une série de défis…

« Le premier grand challenge de Spycies a été l’écriture du scénario. L’écriture a été quelque peu compliquée du fait des cultures différentes, que ce soit pour la narration, la structure de l’histoire ou même l’humour. La deuxième difficulté rencontrée portait sur le temps : nous ne disposions pas du temps normal accordé à un long-métrage, nous avons donc dû trouver des solutions pour pouvoir livrer le film à l’heure.

Enfin, Spycies compte énormément de personnages ; or, dans un film d’animation, le nombre de personnages est l’un des paramètres les plus coûteux… À tel point que, quand nous avons réalisé Chasseurs de dragons, nous avons été obligés de réécrire une partie du scénario parce que, à l’époque, nous n’avions pas l’argent nécessaire pour avoir autant de personnages que souhaités au départ ! Spycies totalise plus de quatre-vingts personnages ; pour une telle une production, c’est énorme ! Il s’agissait d’un défi autant pour la créatrice des personnages que pour ceux les fabriquaient. Le temps de calcul de certaines séquences était très long, d’autant que ces personnages ont tous des poils, ce qui a encore rallongé le calcul. Mais nous avons surmonté tous ces challenges ! »

 

Et après ?…

« Depuis presque un an, je travaille, avec la Pan-Européenne et Maybe Movies, sur le développement d’un projet qui me plaît beaucoup. Il s’agit d’une adaptation de la bande dessinée Les Légendaires. Nous venons de terminer le scénario et j’espère que ce projet va bientôt démarrer. Cette bande dessinée, très populaire auprès des enfants, a remporté un immense succès en librairie. Il s’agit d’une sorte de Seigneur des anneaux rien qu’avec des enfants. Le projet a un petit côté Chasseurs de dragons, mais pas uniquement ; son auteur, Patrick Sobral, a mélangé plein d’univers hétéroclites… Ce qui est justement ma marque de fabrique. Pour le coup, je pense que je vais être servi ! ».

 

L’équipe technique de Spycies

Direction artistique : Audrey-Anne Bazard
Création des personnages : Valerie Hadida
Studio Previs : Les Androids Associés
Studio d’animation : Jungler
Directeur d’animation : Alexandre Henri
Studio : Fx Lux Populi Vfx
Directeur de production : Maxime Delorme
Une production : Iqiyi Pictures/Tianrui Paiming Culture/Media/Lux Populi Production/Chase Film/Lux Populi Vfx

 

Benoît Luce, entre deux continents

Après avoir travaillé pour la société BUF, le producteur Benoît Luce est parti en Chine pour fonder sa propre société Lux Populi VFX aux côtés de sa femme, Zhiyi Zhang également présidente de Lux Populi VFX. « J’ai voulu amener avec moi un savoir-faire français en termes d’animation et d’effets spéciaux. Cette signature visuelle m’a ouvert de nombreuses portes sur le marché chinois et dès qu’il a été question de produire mon propre film, il m’a semblé naturel de conserver cette identité. Fort de mon expérience en Chine, j’ai donc décidé de revenir en France pour offrir à ce premier film une qualité d’image et une rapidité d’exécution inédite. C’est ainsi qu’a vu le jour Spycies… », explique Benoît Luce.

 

Comment devient-on réalisateur de films d’animation ?

« Je n’ai jamais suivi d’études d’animation ! Étudiant, j’avais un tel respect pour l’animation que je me disais qu’elle n’était pas faite pour moi, mais petit à petit, j’y suis arrivé et c’est vrai que je mets pas mal la main à la pâte ! De par mon passé de directeur artistique, la première chose que je fais à la lecture d’un scénario est de “designer” moi-même les premiers univers. Je cristallise ainsi ce que j’ai en tête, cela me permet d’expliquer aux producteurs, aux équipes ce que j’ai en tête et de commencer à placer des caméras. En fait, la création graphique et la mise en scène sont extrêmement liées », explique Guillaume Ivernel.

 

La séquence préférée de Guillaume Ivernel

« J’aime bien la séquence de départ. Il s’agit d’une grosse séquence d’action qui se passe dans des quartiers chinois très traditionnels. Je pense que les Occidentaux y verront un petit côté exotique, du moins je l’espère… Ayant voyagé en Chine à multiples reprises, je me suis beaucoup amusé à redessiner les hutongs, des anciens quartiers chinois. Je les ai présentés sur plusieurs étages pour que la scène d’action puisse se passer en différentes strates… Ce qui a dû beaucoup intriguer et amuser les Chinois ! »

 

Quelques mots sur Iqiyi Pictures

Iqiyi Pictures est un studio chinois fondé en 2014 par la plate-forme de vidéo à la demande éponyme, l’une des plus importantes au monde. Iqiyi Pictures s’implique à de multiples stades : développement, production, investissement, copyright, publicité, distribution en salle, système de billetterie et analyse de données.

 

Retrouvez ici notre interview Web TV de Guillaume Ivernel…

Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.90/93. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.