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4 questions à… Mathieu Debusschère (L’ARP)

INTERVIEW

Publié le 06/12/19

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Les Rencontres Cinématographiques de Dijon, un moment fort dans la vie de l’ARP. © Matthieu BEGEL

Vous êtes délégué général de la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs, connue sous le nom de L’ARP. Première question, pouvez-vous nous présenter l’association et son engagement vis-à-vis des jeunes talents ?

L’ARP est bien plus qu’un syndicat, c’est un organe de réflexion autour du cinéma, au service de tous les cinémas. Ses cinéastes adhérents affichent des cinématographies différentes, sont d’âges et générations très diverses ; cela va de Dany Boon à Grand Corps Malade, d’Olivier Nakache et Eric Tolédano à Agnès Varda, qui fut une cinéaste très impliquée. Notre objectif est de défendre la diversité culturelle, d’intégrer les plates-formes et permettre ainsi que les films européens continuent à se faire et à exister dans un écosystème incluant les plates-formes. Nous n’entendons pas défendre un certain type de cinéma, mais tous les cinémas. C’est le sens que doit avoir une politique culturelle partagée par l’ensemble des acteurs du secteur en France.

L’ARP existe depuis trente ans et rassemble aujourd’hui plus de 215 cinéastes. Chaque année, nous organisons les Rencontres cinématographiques de L’ARP. Grand moment de l’année pour le secteur, elles réunissent toutes les parties prenantes de la création cinématographique : les cinéastes bien évidemment, mais aussi les producteurs, créateurs, distributeurs, exploitants, pouvoirs publics… On discute pendant trois jours, dessinant le monde de demain en matière de politique culturelle. Et les problématiques sont multiples au regard notamment des nouveaux usages.

 

Comment et qui peut adhérer à L’ARP ?

Tout d’abord, il faut être cinéaste, avoir sorti en salle un long-métrage. C’est la condition sine qua non. L’ensemble des candidatures est étudié par le conseil d’administration qui prend connaissance du parcours du candidat et surtout de ses motivations. Une des spécificités de L’ARP est qu’une très large majorité de ses membres sont des auteurs, mais aussi producteurs de leurs propres œuvres, voire de celles d’autres cinéastes. Avoir ces trois casquettes d’auteur-réalisateur-producteur démontre un engagement total dans l’œuvre, de la phase d’écriture à son financement, qui traduit aussi une attention particulière apportée à l’ensemble de la filière. Nos cinéastes ont, si j’ose dire, deux cerveaux : le créatif et l’économique. Lesquels sont la condition de la diversité et de la liberté de création. C’est cette idée qui a guidé les fondateurs, comme Claude Berri, à créer L’ARP. Il nous semble aujourd’hui important de conduire les réalisateurs à devenir producteurs, de les convaincre de l’intérêt de cette démarche. C’est pourquoi, il y a deux ans, nous avons ouvert L’ARP à ces auteurs qui ne seraient pas encore producteurs.

 

Plus personnellement, quelles sont vos fonctions et missions ?

Depuis trois ans, mon travail consiste à être le porte-voix, aux côtés des cinéastes, des positions que nous avons définies tous ensemble. Je porte le plus haut et le plus fort possible les points de vue de nos cinéastes en faveur de la diversité culturelle, d’une régulation exigeante qui intègrera les plates-formes au sein de nos législations. Autrement dit, au quotidien, j’œuvre avec les 215 cinéastes de L’ARP pour définir ensemble la meilleure stratégie pour défendre nos intérêts. J’apporte à cette réflexion un angle politique, du fait de mon parcours. Il s’agit de déterminer les priorités et d’accompagner les cinéastes dans la préparation d’une feuille de route, de plans d’action, afin de défendre nos intérêts le mieux possible, sans diluer donc notre action sur cinquante sujets à la fois. Impossible de défendre toutes nos positions avec la même force sur tous les sujets, il nous faut hiérarchiser.

Par ailleurs, j’ai aussi pour rôle d’orchestrer l’ensemble des activités de L’ARP. Par exemple, quand les Rencontres approchent, de coordonner l’organisation de l’événement avec ceux qui sont directement en charge des débats et de la logistique. Je suis également le gérant du Cinéma des cinéastes, une salle de cinéma parisienne détenue par les cinéastes de L’ARP. Mes missions ont une matrice commune : défendre les 215 cinéastes de L’ARP et la diversité de leurs cinémas.

 

J’aurai une dernière question portant sur les jeunes générations tentées par le téléchargement illégal, pour lesquelles payer des droits d’auteur apparaît quelque peu ambigu. Que peut-on leur dire ?

Le cinéma est un art qui nécessite un minimum d’investissements. Or, le téléchargement prive la filière toute entière de ressources légitimes, donc d’investissements, essentiels à une création riche. Le téléchargement illégal fragilise donc, pas seulement les auteurs, mais la filière toute entière et a donc à terme un impact fort sur l’offre de films, sur sa diversité et même la liberté de création. Je sais que certains se disent que, au regard des millions annoncés pour tel ou tel film, le poids du téléchargement serait relatif, et finalement pas si grave. Mais le système du cinéma français est basé notamment sur la redistribution, via le fonds de soutien. C’est ce qui en fait la particularité. Le succès d’un film permet à d’autres, peut-être avec un potentiel plus confidentiel, de se faire. Néanmoins, le piratage questionne sur l’accès aux œuvres. Nous devons toujours tendre collectivement à un meilleur accès aux œuvres.

Le droit d’auteur n’est pas juste une sorte de concept qu’il faudrait défendre à tout prix, sans comprendre à quoi il sert. Le droit d’auteur est très positif ; il préserve l’indépendance de la création. C’est une spécificité française qu’il faut absolument promouvoir. Il convient juste de rappeler que, en France, l’auteur est au cœur du processus de création, de A à Z. Dès lors, avec le producteur, il décide de la version définitive de son œuvre. Aux États-Unis, avec le système de copyright, les auteurs ne partagent pas ce pouvoir de décision. Ce sont les producteurs, voire les diffuseurs, qui arbitrent.

Par ailleurs, il existe un principe fondateur en France qui fait que, si un opérateur tire profit d’une œuvre, il doit rémunérer l’auteur. Les créateurs continueront à être rémunérés au fil de l’exploitation de l’œuvre. Il s’agit là du volet de rémunération proportionnelle, notamment discuté lors des débats autour de la Directive européenne sur le droit d’auteur l’année dernière. Des acteurs comme Google, YouTube et autres tirent profit de ces créations qui leur génèrent de la publicité, il est donc logique qu’une part de ces revenus revienne aux créateurs. Notre système de droit d’auteur est très vertueux et il faut le défendre.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #1, p.26/27. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.