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Next Step. « Nous accompagnons un cinéaste, pas un projet »

PREMIERS FILMS

Publié le 21/07/20

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Si l’on connaît bien le prix de la Caméra d’or décerné chaque année lors du Festival de Cannes, le programme Next Step, initié par la Semaine de la critique, est moins mis en avant, même s’il joue un rôle essentiel dans le passage du court au long-métrage depuis six ans. Rémi Bonhomme, coordinateur général de la Semaine de la critique et directeur de Next Step, revient sur la création et le développement de ce programme extrêmement original, unique en son genre.

À gauche, venus du monde entier, les participants de la 6e édition de Next Step se sont retrouvés en décembre pour les cinq jours d’ateliers. © Next Step | Semaine de la Critique | © Aurélie Lamachère. Au centre : « Perdrix » d’Erwan Leduc, un des projets passés par Next Step, a été nommé dans sept festivals, dont la 51e Quinzaine des Réalisateurs. © DR. À droite, Rémi Bonhomme, coordinateur général de la Semaine de la critique et directeur de Next Step. © DR

Moovee : Pourquoi avoir créé Next Step ? Quel est le lien avec la Semaine de la critique ?
Rémi Bonhomme : Cette initiative de la Semaine de la critique existe depuis six ans. La mission de la Semaine de la critique, qui fêtera sa 59e édition en 2020, vise à découvrir des nouveaux talents, par la sélection de premiers et seconds longs-métrages, ainsi que de courts-métrages. Ceux-ci permettent de repérer en amont des cinéastes qui passeront ensuite au long-métrage. De nombreux artistes ont ainsi été d’abord remarqués à la Semaine de la critique : Ken Loach, Wong Kar Wai, Alejandro Inarritu, etc., mais aussi une grande partie des réalisateurs français, de François Ozon, Jacques Audiard, en passant par Arnaud Desplechin, Gaspard Noé… Mon idée, en créant Next Step en 2014, était d’accompagner les réalisateurs dans leur passage du court-métrage au long-métrage.

 

M : Qui sont les bénéficiaires de ce programme ?
R. B. :
Chaque année, nous proposons dix courts-métrages dans le cadre de la compétition internationale de la Semaine de la critique. Ces films sont sélectionnés parmi 2 000 courts-métrages reçus. Next Step est né de l’envie de continuer à les accompagner après cette exposition cannoise. Ils sont souvent très sollicités après ce coup de projecteur et nous voulions les soutenir dans ce moment charnière.

Ces dix cinéastes ont l’opportunité d’intégrer Next Step, mais s’ils n’ont pas de projet à court terme ou s’ils se sont engagés sur d’autres courts-métrages, ils peuvent reporter d’un ou deux ans leur participation. C’est important de respecter leur temporalité et d’être à leur écoute. En outre, Next Step prend tout en charge, sauf le transport jusqu’à Paris. En cas de blocage financier, une bourse peut leur être accordée.

 

M : Comment se déroule cet atelier ?
R. B. : Il est organisé pendant cinq jours au mois de décembre. En mai, on montre les courts-métrages de ces cinéastes, puis de juin à octobre, on discute avec eux. Certains ont déjà des projets de longs-métrages avancés en termes d’écriture, d’autres sont à l’étape de l’idée. Cet atelier permet de s’adapter aux différentes avancées de développement de leurs projets. Les réalisateurs peuvent aussi tester une idée, voir si elle a le potentiel d’un sujet de long-métrage.

Nous encadrons les lauréats avec des consultants, scénaristes et réalisateurs, lors de consultations individuelles, mais aussi de moments collectifs où ils sont invités à faire des retours sur les projets des uns et des autres. Nous leur proposons aussi des rencontres avec des acteurs du marché, tels que des producteurs pour voir comment leur film peut être développé, des vendeurs qui peuvent en tirer le potentiel sur le marché international, la place en festivals, le positionnement vis-à-vis des chaînes de télévision, etc. Nous avons un moment dédié à la musique de films, en partenariat avec la Sacem.

 

M : Pourquoi cet accent mis sur la musique de films ?
R. B. : Il y a une vraie diversité de compositeurs de musique de films en France, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Il est vrai que c’est singulier de questionner des projets dès leur début, sur la musique, mais le but est d’offrir aux cinéastes, peu à l’aise avec cet exercice, de pouvoir y réfléchir sereinement.

Next Step est un programme financé par le CNC, il permet aussi de mettre en valeur nos talents dans le secteur de la musique à l’écran. En effet, si le Festival de Cannes et la Semaine de la critique découvrent de nombreux talents du monde entier, ces derniers vont ensuite, lors du développement de leurs films, s’adresser aux différents guichets du CNC pour décrocher des aides auxquelles ils peuvent prétendre en France, s’ils ont un coproducteur français.

Travailler avec un compositeur français est une possibilité qui ouvre des aides. C’est aussi une collaboration qui peut se faire à distance. Ce n’est pas forcément un poste auquel un cinéaste étranger pense, d’autant qu’en France, le compositeur est un auteur à part entière du film.

 

M : Où se déroulent ces ateliers ?
R. B. : Au Moulin d’Andé (Normandie). Les deux derniers jours ont lieu à Paris. La dernière journée permet aux participants de rencontrer des producteurs et des distributeurs français. Ce n’est pas un marché de coproduction. Les cinéastes, qui viennent du monde entier, peuvent y dénicher des solutions sur mesure. 40 % des projets en recherche d’un partenaire français l’ont trouvé grâce à ces rencontres.

Nous avons ajouté trois collaborations pour prolonger ces cinq jours : deux résidences d’écriture, l’une au Moulin d’Andé, l’autre à Bratislava (Slovaquie), nommée la Pop Up Residency. Elles offrent chacune une place à un lauréat de Next Step. Nous avons aussi créé le prix Next Step, doté de 5 000 euros et d’une invitation au Festival de Cannes.

Après réécriture les projets sont examinés par un jury composé de représentants de l’industrie, qui décerne ce prix à l’un des dix participants. La deuxième édition de ce prix sera annoncée lors du prochain Festival de Cannes.

 

M : Des longs-métrages issus de Next Step ont-ils déjà été tournés ?
R. B. : 2019 a été une année importante pour notre programme car six longs-métrages ont été terminés, dont deux sélectionnés au Festival de Cannes : Ceniza Negra de Sofia Quiros Ubeda, en compétition à la 58e Semaine de la Critique ; Perdrix, d’Erwan Leduc à la 51e Quinzaine des Réalisateurs. Bombay Rose, le film d’animation de Gitanjali Rao et Mes Jours de gloire, d’Antoine de Bary, ont été présentés à la Mostra de Venise. De même, le thriller allemand, 7500, de Patrick Vollrath, a fait sa première au festival de Locarno.

Ce résultat reflète bien l’ambition de Next Step : accompagner des cinéastes. C’est un programme très singulier : c’est le seul qui soit lié à la sélection d’un festival. Ce n’est pas un atelier où les cinéastes peuvent candidater. Nous accompagnons un cinéaste, pas un projet. Et grâce au label de la Semaine de la critique, nous réunissons des professionnels qui permettent vraiment à Next Step de jouer un rôle d’accélérateur pour les lauréats. C’est un vrai coup de projecteur et de promotion pour ces premiers films à venir.

 

M : Est-ce que ces cinéastes sont déjà accompagnés par des producteurs ? Quel est le profil type ?
R. B. : La plupart ont déjà un producteur qui les a accompagnés sur le court-métrage sélectionné à la Semaine de la critique. Ce sont parfois des producteurs établis, ou des jeunes producteurs. Ils ne sont pas impliqués dans l’atelier, mais dans la mobilisation dans les aspects du marché. Les films les plus avancés ont parfois un coproducteur français. Les cinéastes sont aussi intéressés par les aspects de production, qu’ils connaissent peu, et inversement distributeurs et vendeurs peuvent rencontrer les réalisateurs qu’ils ont rarement l’occasion de connaître.

 

M : Pensez-vous que c’est plus difficile à notre époque de réaliser un premier film ?
R. B. : Cela a toujours été un combat. Nous sommes dans une période plus frileuse en termes de financement, très incertaine avec l’arrivée des plates-formes. La génération de cinéastes que nous avons accompagnée ces dernières années n’a pas connu d’autres contextes. Ce sont de vrais guerriers. Ils sont inventifs, courageux. Ils ont aussi plus conscience que leur parcours de cinéaste est lié à l’international. Les artistes venant de petits pays comme le Costa Rica, la Roumanie, etc. ont toujours dû compter sur le marché mondial, ce n’était pas le cas de cinéastes de pays comme la France. C’est en train de changer et Next Step participe à cette ouverture puisque tout se déroule en langue anglaise. C’est important de sortir du système franco-français. C’est une génération de cinéastes qui partagent une même cinéphile, quel que soit son pays d’origine. C’est un changement radical.

 

 

NEXT STEP EN CHIFFRES 

  • 56 réalisateurs issus de 23 pays,
  • 41 % de réalisatrices. En 2019, 30 % des courts métrages reçus étaient réalisés par des femmes. Sur les 1200 longs-métrages, le pourcentage était de 26 %.