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Quelle caméra pour un premier court-métrage ?

RETOUR D'EXPÉRIENCE

Publié le 21/05/20

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Le 10 octobre 2019 s’achevait le tournage de mon cinquante-deuxième court-métrage au poste de chef opérateur, après une longue période consacrée à la réalisation, aux essais de matériel et à la formation. J’ai des copains chefs op qui en ont fait deux fois plus que moi, mais au bout d’une vingtaine on commence à avoir une idée précise de la chose quand il s’agit de choisir une caméra.

Caméra Alexa avec Cooke Mini S4. © DR

J’ai démarré en 1988 avec une Bolex, trois petits objectifs Zeiss GO, un trépied et une tête Sachtler, deux mandarines et deux cremers. Malgré la modestie du dispositif, le film fut réussi car le réalisateur savait précisément ce qu’il voulait, et j’avais eu l’honnêteté de lui dire ce qu’il pouvait attendre en termes de rendu d’image en 16 mm standard noir et blanc. C’était aussi l’époque où l’on n’avait le choix qu’entre le 16 mm et le 35 mm, quelques caméras et optiques vite identifiées, ce qui peut sembler une contrainte, mais est en réalité un cadre clair, loin de la pléthore de matériel et de filières que l’on peut trouver aujourd’hui, cela dit sans nostalgie.

J’ai fini en 2019 en Arri Alexa Mini avec des Cooke, des leds dernier cri et même la présence d’un drone et de son équipe, que j’ai observés avec grand intérêt. Mais là aussi, l’équipe était solide et la réalisation savait où elle voulait aller. Au court de ces cinquante-deux courts-métrages, tout n’a pas été aussi simple. Ce qui m’amène, avant de répondre à la question à l’origine de cet article, à poser deux préalables à l’évocation du matériel de prise de vues en tant que tel.

 

D’ABORD, QUEL TYPE DE COURT-MÉTRAGE ? ENSUITE, QUEL PROFIL DE RÉALISATEUR ?

Il y a le court-métrage bien dans les clous, produit par une société de production qui en a l’habitude, qui ficelle des dossiers, récolte les fonds nécessaires à la fabrication du film de bout en bout, et va le porter jusqu’à la diffusion. Le chemin est clair pour ce qui est du matériel de prise de vues, je dis du matériel car la caméra sans les objectifs, la machinerie et la lumière est un peu toute nue, on ne fait pas grand-chose, du moins en fiction. La production négocie avec son loueur préféré un package qui comprend tout le matériel de prise de vues, voire au-delà, la plupart des loueurs assurant l’offre globale en fiction, c’est-à-dire caméra, optiques, machinerie, lumières, camion. À ce niveau, il s’agit de savoir ce qui est disponible dans l’enveloppe allouée au projet, en rapport avec le sujet et les souhaits du chef opérateur et de ses chefs de poste. Bref, jusqu’où on veut aller, combien ça coûte et si c’est possible. C’est le moment de beaucoup de discussions avec tout le monde, c’est l’art du compromis pour la meilleure qualité possible.

Second cas, le court-métrage en cassant sa tirelire avec la bande de copains : le mot d’ordre est « on fait avec ce qu’on a ». C’est le règne de la débrouille. C’est plus compliqué, ça peut donner aussi de très bons films, j’en ai fait pas mal comme ça. Mais là, tout dépend quel réalisateur vous êtes.

Explorons le premier cas. Vous avez la chance d’être dans cette catégorie de courts-métrages produits et encadrés. La discussion sur le matériel de prise de vues a été menée entre la production, le chef opérateur et vous. Sa réservation est effectuée bien à l’avance (j’insiste) chez un des loueurs professionnels de la place de Paris qui fournit les longs-métrages, les téléfilms, les pubs… et les courts-métrages de cette catégorie. Pour en citer certains : Transpacam, TSF, Panavision, RVZ, Nextshot, Photocinerent… Il existe des structures plus petites et de qualité. Chez ces prestataires, on retrouve le même matériel haut de gamme, avec quelques différences minimes. Mais ils proposent tous les grandes marques de caméras, optiques et accessoires, plus les techniciens chevronnés à l’atelier, pour la maintenance et la préparation en vue du tournage.

Arrêtons-nous un moment sur les grandes marques disponibles pour la production. Arri, Sony, Red, Panasonic, Panavision, etc. Chez Arri, coup de chapeau à l’ergonomie des Alexa, d’une importance vitale pour le cadreur, donc pour la fabrication du cadre, ainsi que la grande dynamique des capteurs, et à l’accessoirisation. C’est un constructeur historique du cinéma. Sony est l’as de l’espace couleurs, c’est-à-dire beaucoup de nuances disponibles et de la sensibilité, les fameux ISO. Red est incontestablement remarquable pour la définition, notamment. Les Varicam de Panasonic bénéficient d’une très belle ergonomie et d’une grande facilité de navigation dans les menus, et se distinguent par une haute sensibilité, très intéressante. Panavision apporte sa touche personnelle à toutes les marques et décline la caméra DXL 2 d’un corps de Red. Les C300, C500 et C600 de Canon sont aussi performantes, dans une gamme de prix plus abordable. Mais toutes ces machines possèdent des grands capteurs qui assurent le rendu cinéma, ce qui n’était pas le cas des premières caméras numériques en capteur 2/3 de pouce. C’est une histoire de pixels, de photosites et de profondeur de champ, nous y reviendrons.

Deuxièmement une monture professionnelle, la plupart du temps PL, qui assure la possibilité d’y monter des optiques cinéma. Troisièmement, des réglages d’enregistrement qui permettent le travail de l’image en postproduction. Attention, ce que je veux dire c’est que de toute façon, toutes les images fabriquées avec les caméras aujourd’hui se finiront par un travail en postproduction. La différence entre ces caméras haut de gamme et d’autres machines à un coût plus abordable, c’est la capacité de ces caméras à capter beaucoup d’informations dès le départ, ce qui donnera au coloriste une grande latitude de travail.

Ensuite, l’atout d’une image réussie, aussi important que la caméra, les objectifs. Là aussi, quelques grands constructeurs de cinéma dont la réputation n’est plus à faire : Zeiss, Cooke, Leitz, Angénieux, Panavision, Fujinon, Hawke… Bien d’autres constructeurs proposent des objectifs adaptables, comme Canon ou Nikon qui viennent plus de la photographie, ainsi que Sigma. À noter, le retour en force des objectifs « vintage », conçus pour l’argentique, qui donnent un look très marqué, ainsi que des objectifs récents anamorphiques, propres au cinémascope pur et dur. C’est le dispositif optique du cinémascope d’origine, qui permet un bokeh, c’est-à-dire le flou d’arrière et d’avant plan, si propre à ce procédé. Le flare fait aussi son grand retour dans le look d’image. Il fut un temps où il était considéré comme un défaut, il est maintenant une clause de style.

Enfin, une petite remarque très importante : tout ce qu’on place devant un capteur, optiques et filtres, impacte définitivement le rendu de l’image. Si vous avez fait une école de cinéma, ces notions vous sont familières. Sinon, il vous faudra interroger bien avant le tournage le chef opérateur qui va faire vos images, afin qu’il vous explique en détails ces données techniques. Gregg Toland disait qu’il avait expliqué la prise de vues en trois jours à Orson Welles avant qu’il tourne Citizen Kane… mais c’était Orson Welles.

Il faudra de toute façon qu’il vous explique trois choses très importantes, ce qu’on fait tous à nos élèves et à nos stagiaires, et ça prend un peu de temps. Un, les ratios d’image, à savoir la géométrie du cadre : les fameux 1 :2.39, 1.85, 1.66, 1.33, etc. Deux, l’angle de champ des objectifs, à savoir la portion du champ filmé qui entre dans le cadre, et son effet sur la perspective. Trois, la profondeur de champ, zone de netteté disponible à des distances données de la caméra.

 

Vous n’entrez pas dans le cadre douillet d’une production conventionnelle, mais vous avez un parcours pro dans le métier (assistant réal., monteur, comédien, etc.). Vous allez emprunter le même chemin que la première catégorie, avec moins de confort. Vous bénéficiez d’un réseau de copains professionnels, donc vous allez constituer une équipe qui va vous aider à fabriquer votre film. En ce qui concerne le matériel de prise de vues, c’est le même chemin, c’est-à-dire un loueur. Le matériel sera celui des prods conventionnelles, peut-être un peu moins luxueux, mais de qualité et bien entretenu.

 

Troisième cas, vous n’entrez dans aucune des catégories précédentes. Vous n’avez pas fait d’école de cinéma, vous n’avez pas travaillé dans le métier et vous n’y êtes pas né, vous n’avez pas gagné de prix pour votre scénario, mais vous êtes cinéphile et passionné d’images. Vous êtes peut-être photographe ou vidéaste amateur, peut-être même pro dans l’institutionnel. Vous êtes donc équipé d’une de ces nombreuses petites machines qui fabriquent des images et des sons, ou alors vous rêvez d’en acheter une. Voire, vous allez passer une annonce sur les réseaux sociaux pour trouver un ou une chef op avec son matériel. Dans le cas où vous cherchez un opérateur équipé, quelles performances attendre de son équipement ? À lui de vous le dire honnêtement, ainsi que les contraintes en termes d’ergonomie et de postproduction.

Il faut être vigilant à plusieurs fonctions : pouvoir régler le diaphragme, l’obturation et la sensibilité manuellement. En fiction, c’est indispensable, ainsi que la température de couleurs, appelée « balance des blancs » en vidéo. Il faut aussi ne pas négliger la tête sur laquelle est installée la caméra. Les petites machines étant plus légères, la tête fluide doit être surdimensionnée pour donner une inertie propre à réaliser des mouvements de caméra souples et sans à-coups involontaires. Enfin, l’ergonomie à l’épaule, vaste problème. En 16 et 35 mm, on était arrivé à une perfection. Aaton et Arri avaient décliné une gamme de caméras légères et autosilencieuses, Sony et Panasonic fabriquaient des caméras de reportage dotées d’une ergonomie comparable. C’était, comme le disait Jean-Pierre Beauviala, ingénieur génial, le temps du « chat sur l’épaule », on pouvait faire sa journée de tournage sans trop de peine.

Sur les caméras pros de cinéma, ce confort est aujourd’hui retrouvé après bien des tâtonnements. En caméra de poing ou boîtier photo, c’est une autre histoire. Il faut adjoindre à ces machines tout un tas d’accessoires. Ça alourdit l’engin, ce qui est une bonne chose, mais aussi la facture, pour retrouver un confort de portée fluide dans le cadre. Et encore, bien souvent, l’opérateur compense physiquement cette ergonomie approximative, ce qui rend le cadre hésitant, et nuit à la concentration face aux acteurs, tout au long de la journée et du tournage.

Pour donner un exemple personnel, j’ai le souvenir de deux courts-métrages tournés en scope Super 35, avec des caméras faites pour ça, l’Aaton 35 et la Moviecam SL, et une certaine ambition pour le cadre. Une majorité des plans étaient faits à l’épaule, et à aucun moment je n’ai fatigué, et n’ai été incapable de répondre à la demande de la réalisation. Tout était possible : monter sur un 4 x 4 caméra à l’épaule, m’attacher à un acteur et le suivre à son rythme sans le gêner, etc. Et le contraire, sur un long-métrage indépendant tourné avec la caméra DVX-100 de Panasonic, qui donnait une image intéressante : à beaucoup de moments, le travail à la main s’est avéré approximatif. C’était l’époque où on achetait sa caméra et on tournait des films en mini DV.

En tant que chef opérateur, je me pensais capable de compenser les déficiences ergonomiques du matériel. Avantages : la caméra abordable à l’achat donc disponible sans contrainte, dotée d’un zoom Leica de bonne qualité. Les réglages internes de l’image (Cinelike D et Cinelike V déjà) permettaient d’avoir une certaine marge de manœuvre à l’étalonnage. Inconvénients : c’était une caméra de poing, donc dépourvue de visée latérale orientable, ce qui force à cadrer au moniteur dans beaucoup de cas ; or s’il y a trop de lumière autour, l’écran n’est pas regardable malgré le pare-soleil. Tout porte sur les avant-bras en caméra portée. Le cadre en devient hésitant et le cadreur doit beaucoup compenser et fatigue. La bague de point sans butée ni gravure : le suivi et les bascules de point sont incontrôlables ; or cela relève de la mise-en-scène ! Impossible à l’époque d’afficher son ratio d’image sur l’écran LCD, ce qui n’a pas changé ! Aujourd’hui, les boîtiers photos, très performants à la prise de vues, nécessitent une accessoirisation considérable pour être utilisables en fiction, et c’est un de leurs points faibles, si ce n’est le principal.

Je possède un GH4 Lumix dont j’apprécie la qualité d’image. J’y ai adjoint une bague pour pouvoir y monter des objectifs photos, ainsi qu’une loupe de visée optique qui s’accroche à l’écran LCD du boîtier pour pouvoir tourner par fort éclairement et circonscrire mon regard. Le dispositif est plutôt performant, mais encore trop inconfortable pour tourner un court-métrage de fiction. C’est possible, mais il faut accepter les compromis sur l’efficacité ergonomique et le confort de tournage.

 

LES OBJECTIFS

Passons maintenant à ce qui est à mes yeux presque plus important, les objectifs. Pour le cinéma et la fiction, on travaille avec une série de focales fixes plus un zoom en général. Je ne parle pas d’un tournage à plusieurs caméras, rare pour un premier court-métrage. Là, chaque constructeur a ses caractéristiques, que ce soit le pouvoir séparateur (définition de l’objectif), en piqué, en contraste, en colorimétrie, en ouverture ou en profondeur de champ propre à l’objectif, sans oublier la distance minimum de mise au point, déterminante quand on tourne dans de petits décors. Quel que soit le capteur, ce sont les optiques qui déterminent pour une majeure partie le rendu de l’image. Là, une seule devise : essayez et regardez si le résultat correspond à ce que vous attendez en termes de look d’images. Cela vous permettra de vous rassurer et de ne pas partir à l’aveugle. La phrase à absolument bannir, c’est « on verra en postprod » !

 

CAMÉRA-ÉQUIPE-ACTEURS

Maintenant, quelque chose qui peut paraître un détail, mais qui a son importance : le rapport caméra-équipe-acteurs. Clint Eastwood pourrait décider demain de tourner avec une cafetière, on dirait « il sait ce qu’il fait, quelle audace. » Vous, sans être irrespectueux, on vous dira « t’es sûr ? » Ce que je veux dire, c’est qu’un minimum de dispositif de prise de vues rassure tout le monde. C’est comme ça. Il y a aussi le confort d’utilisation, avec les câbles solides, les boutons faciles, et ce n’est pas rien dans certaines conditions.

 

ALORS, QUELLE CAMÉRA ?

Une fois toutes ces choses dites, je vais tenter de répondre à la question « Quelle caméra pour un premier court ? » S’il y a assez d’argent, là le choix sera déterminé par le chef opérateur, qui aura longuement parlé avec vous de l’esthétique visuelle du film. C’est un des bons moments de la prépa. Si vous n’avez pas de connaissance technique, n’oubliez pas de lui demander ce dont j’ai parlé plus haut. N’hésitez pas non plus à aller jeter un coup d’œil aux essais caméra, afin de ne pas être surpris, le premier jour de tournage, par le matériel. Accordez aussi beaucoup d’importance aux essais de look avec le coloriste.

Enfin, il n’y a pas assez d’argent pour être dans ce confort-là : vous aurez la caméra que vous pourrez trouver au meilleur prix, la vôtre ou celle du chef op, ou celle qu’il aura dégotée. Soyez prudent, essayez de ne pas partir sans essais de matériel au préalable, et encore une fois, demandez à votre opérateur de vous expliquer les trois notions de base citées plus haut. Vous paraîtrez un peu exigeant : et alors ?

Pour conclure, vous le sentez venir, je pense qu’il n’y a pas de caméra universelle capable de tout faire, ni de caméra estampillée « premier court ». Il n’y pas de mauvaise caméra, mais celle qui convient au projet en termes de production et de mise en scène, et surtout celui ou celle qui la manœuvre. Il faut trouver le bon costume pour le film. À vous d’évaluer les avantages et inconvénients.

Les contraintes et les cas de figure sont nombreux, par exemple vous tournez en perlé sur une période longue pour des raisons de saisons ou de disponibilités des comédiens. Là, il va falloir avoir le matériel à disposition et faire avec. Ou encore vous avez obtenu l’autorisation et la gratuité dans un lieu prestigieux, mais les autorités vous imposent la date et la durée. De plus, il y a de la machinerie et des costumes. Là, le matériel doit être au rendez-vous. Chaque film est un prototype et nécessite un investissement différent.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.24/28. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.