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ProRes Raw vs Blackmagic Raw : la guerre des codecs est déclarée !

RIVALITÉS

Publié le 22/04/20

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Nous vivons une époque formidable en termes d’avancées technologiques mais les lois du marketing et la rivalité des constructeurs ne sont pas forcément ce qui pouvait arriver de mieux pour les faiseurs de films.

Nikon Z6 + Atomos Ninja V : les pionniers du ProRes RAW sur un Hybride 24 x 36. © DR

Du temps de la photochimie, il n’y avait qu’un seul processus possible, et même si on avait le choix dans les émulsions, il n’y avait plus ou moins qu’un seul standard, le sacro-saint 35 mm. Avec l’arrivée de la vidéo, nous avons déjà connu plusieurs batailles technologiques, que ce soit au niveau des standards de la vidéo pour le grand public avec la fameuse bataille VHS/Betamax/V2000 pour les caméscopes et les magnétoscopes de salon, puis plus tard le Blu-ray Disc contre le DVD HD.

 

Du côté du marché professionnel et du temps de l’analogique c’était à peu près simple, les formats se succédaient et il y avait des périodes de transition parfois délicates pour passer d’un standard à l’autre, mais il n’y avait qu’un ou deux standards possibles pour les pros, jusqu’à la mort de la bande magnétique.

 

En France, le Betacam, DVCam, XDCam ou encore le HDcam, formats propriétaires signés Sony sont restés maîtres du jeu jusqu’à il n’y a encore pas longtemps, que ce soit au niveau des enregistreurs dans les caméras ou pour les supports de diffusion. Depuis l’arrivée de la dématérialisation, chaque constructeur essaie de se démarquer et c’est devenu un grand festival de tentatives de démonstrations de supériorité d’ingénierie et de maîtrise technologique. Le constat technique est simple, contrairement au marché de la photo où l’utilisateur a le choix entre faire du Jpeg (codec compressé) ou du Raw, (certains constructeurs proposent aussi le Tiff) au niveau de la vidéo et du cinéma numérique, c’est beaucoup plus compliqué.

 

Les différences techniques

La différence entre le Raw, qui veut dire « brut » en anglais, et la plupart des codecs du marché c’est qu’il enregistre le signal brut du capteur alors que les autres codecs enregistrent un signal qui est déjà passé par un traitement numérique, que l’on appelle la débayerisation, c’est le procédé pour transformer le système de la matrice de bayer présent sur les capteurs CMOS afin de recréer les couleurs rouge, verte et bleue.

 

A contrario, sur un fichier Raw, il est possible de modifier les paramètres d’exposition et la balance des blancs, par exemple dans le logiciel de postproduction puisque ce sont les données brutes du capteur qui sont compressées puis enregistrées, ce qui permet d’avoir de plus grandes possibilités de corrections à l’étalonnage et qui rajoute de la souplesse pour les plans nécessitant des trucages.

 

La complexité est de pouvoir faire des codecs qui permettent une qualité technique d’enregistrement du signal qui soit à la hauteur de nos espérances tout en proposant un poids de fichier modéré qui nous évite de nous balader avec des systèmes de stockage trop volumineux et trop onéreux sur le tournage.

 

D’un côté, nous avons les codecs qui sont tous dérivés du Mpeg 4 – H264 comme le XAVC chez Sony, et intégrés dans la plupart des boîtiers hybrides de chez Nikon, Canon, Panasonic et consorts. De l’autre nous avons les codecs plus nobles issus du monde de la postproduction comme le fameux ProRes de chez Apple ou le DNX de chez Avid pour ne citer qu’eux.

 

Aujourd’hui encore, dans le monde du cinéma, la plupart des films tournés sur les caméras Alexa de chez Arri, puisque c’est la plus populaire sur les plateaux de tournage, sont tournés avec les codecs Apple ProRes avec un profil logarithmique, le Log-C de chez Arri. La solution la plus qualitative serait de tourner en Raw aussi pour le cinéma, c’est ce qui est fait sur les plus grosses productions et quelques fois le Raw et le ProRes sont mélangés pour des questions de coût et de quantité de données à gérer et à stocker. Dans ce cas de figure, le Raw est utilisé pour les scènes nécessitant des effets spéciaux complexes ou des scènes qui pourraient avoir besoin d’un étalonnage plus poussé.

La différence de qualité entre un codec type ProRes et un Raw est plus ou moins importante, mais c’est au final un petit gap qui peut faire la différence pour les films des productions les plus exigeantes.

 

Red, premier constructeur à proposer un codec Raw compressé en 2007

Red a été le premier constructeur à proposer un système de Raw compressé, le fameux Red Code est sans aucun doute un des principaux arguments qui ont fait le succès de la société de Jim Jannard. Quand en 2005 ils ont annoncé que la Red One ferait du 4K Raw à 17 500 $, alors que la concurrence de l’époque c’était la D21 Arri, seule caméra grand capteur qui ne faisait que de la HD pour 200 000 $, ce fut le début de la révolution et sûrement le début de cette « guerre ».

 

La magie du Red Code vient d’un ingénieur qui se définit lui-même sur son compte Twitter comme « image processing magician » et je dois avouer que c’est sûrement ce qu’il est. Né en Angleterre, il vit au Canada en Ontario et se fait remarquer au début des années 2000 en collaborant successivement avec Aja et Blackmagic pour créer les premiers codecs des cartes d’acquisition des deux constructeurs. Le coup de génie de Graeme c’est d’avoir trouvé une solution pour compresser non pas un signal vidéo déjà « processé » comme c’était la norme à l’époque, mais d’avoir su compresser le signal brut issu du capteur pour pouvoir le travailler ensuite en postproduction comme on peut le faire en photo. Ce qui permettait d’enregistrer sur des supports plutôt simples et peu onéreux comme des disques durs ou des cartes Compact Flash à l’époque, réduisant le poids des fichiers par un facteur de 2 à 30 sans trop de perte de qualité (en théorie).

 

Le fameux Red Code permet donc d’avoir toute la souplesse du Raw en postproduction tout en conservant un poids de fichiers suffisamment contenu correspondant à celui des fichiers produits par des caméras utilisant des codecs plus « classiques ». Ce Red Code a sans aucun doute créé une certaine jalousie de la part des fabricants de caméras leaders du marché qui proposent aussi du Raw, mais dans sa version la plus pure et donc non compressée.

 

Red a eu la bonne idée bien entendu de déposer un brevet sur ce procédé et c’est aussi un des sujets qui m’ont incité à parler de guerre dans mon titre. Red a déjà gagné deux procès avec Apple et Sony pour violation de ses brevets. Les mauvaises langues ont même essayé de prédire la mort du ProRes Raw, mais il est bon de rappeler que seul le dieu dollar a son mot à dire dans ce domaine. L’affaire a dû se régler avec des gros chèques pour pouvoir utiliser les brevets de Red.

 

Atomos/Blackmagic Design, du Raw compressé et des rivalités

La révolution du moment, c’est l’arrivée de codecs Raw compressés dans les enregistreurs comme les Atomos ou ceux de chez Blackmagic Design. C’est Atomos qui a ouvert le bal en avril 2018 au NAB à Las Vegas ; en effet, lors de la grand-messe annuelle de l’audiovisuel, le constructeur australien a annoncé l’arrivée du ProRes Raw dans ses écrans enregistreurs.

 

Atomos travaille avec Apple pour une évolution de leur famille de codecs ProRes qui inclut donc, désormais, une déclinaison du codec ProRes en version Raw compressée. Le gros intérêt, c’est que le poids des fichiers est équivalent à celui que nous avions en ProRes 422 HQ. Atomos a été le premier constructeur à se lancer sur le marché de ces écrans externes dotés d’un enregistreur permettant d’enregistrer le signal dans un codec de meilleure qualité que ce que proposaient les codecs internes de la plupart des photocams.

 

De son côté, Blackmagic Design riposte et propose le Blackmagic Raw quelques mois plus tard. Il n’y a bien entendu aucune compatibilité entre les deux formats, mais les deux fabricants proposent, à qui veut bien, de supporter leurs codecs Raw compressés. Logiquement en photo chaque caméra a son propre Raw, mis à part le format DNG initié par Adobe qui est open source dans le monde de la photo et qui n’a au final été utilisé que par deux ou trois fabricants, la plupart des caméras et des capteurs ont un Raw qui leur est propre,   il y a autant de Raw différents qu’il y a de caméras différentes.

 

C’est sur la base de ce détail que j’ose quelque peu me révolter sur l’utilisation à mon avis abusive de l’appellation Raw ; à partir du moment où il y a compression ou traitement du signal, pour moi ce n’est plus du Raw. C’est donc un abus de langage qui est principalement lié au marketing de ces sociétés qui se font la guerre. Mais au final ce n’est pas très important, le plus appréciable c’est ce que ça apporte aux utilisateurs. Même si ce n’est pas vraiment du Raw c’est quand même pas mal, et l’arrivée de ces codecs dans ces enregistreurs que l’on va pouvoir utiliser sur des boîtiers hybrides est, à mon avis, une nouvelle petite révolution.

 

Nikon Z6/Z7 les pionniers du ProRes Raw

C’est Nikon qui est le pionnier de cette nouvelle page d’histoire dans l’évolution du cinéma et de la vidéo numérique. Depuis la fin décembre 2019, le ProRes Raw est officiellement supporté par ses boîtiers Z6 et Z7 sur l’enregistreur Atomos Ninja V via une mise à jour du Firmware qui nécessite aussi un retour des boîtiers chez le SAV du constructeur. Au moment où j’écris ces lignes je n’ai pas encore pu voir ce que ça pouvait donner, mais ça s’annonce très intéressant.

 

J’ai toujours été passionné par l’idée d’avoir la possibilité d’avoir une petite caméra de cinéma qui puisse rivaliser en termes de qualité avec les « grosses caméras de cinéma »… Mes premiers espoirs datent du Hi8, puis du mini DV, ce n’est pas nouveau. Le Z6 et le Z7 sont à mon sens parmi les boîtiers hybrides photo/vidéo les plus intéressants du marché. Sortis fin 2018 ils sont une parfaite synthèse du savoir-faire de Nikon en termes d’ergonomie et de « color science ». Même si certains détails me contrarient un peu encore, comme la limite des 30 minutes d’enregistrement et l’orientation de l’écran limité. J’aime les utiliser et l’arrivée de ce ProRes Raw est pour moi une ouverture vers un champ des possibles très excitant. Pour ceux que cela intéresse, je vous propose d’aller visionner ma vidéo sur ce sujet sur ma chaîne YouTube.

 

À quoi peut-on s’attendre au niveau qualité d’image ?

Le ProRes Raw est un codec qui permet donc de conserver la possibilité de jouer avec les métadatas en postproduction comme un vrai Raw, mais avec un poids de fichier réellement amoindri. Il supporte des résolutions allant jusqu’à 8K avec une profondeur de couleurs sur 12 bits.

 

Sur le papier, les spécifications techniques sont très proches entre les deux constructeurs. Blackmagic mettant en avant une intégration dans ses caméras et dans leur logiciel DaVinci, mais la société propose un SDK qui permettra à d’autres fabricants de pouvoir utiliser le BM-Raw à leur sauce.

 

Il faut néanmoins rester lucide sur le fait que la différence de qualité va surtout se voir en fonction de la finalité de la diffusion des images. À mon avis le saut qualitatif du 8 bits au 10 bits est déjà plutôt minime pour le commun des mortels et encore plus si la vidéo finit sur YouTube. Le passage de 10 à 12 bits ne sera vraiment visible que sur grand écran, ce qui va demander des tests plus poussés.

 

Pour avoir pu tester le ProRes Raw sur la Sony FS5 MKII et sur la Panasonic EVA1, je peux vous dire que c’est certes bien meilleur que le codec interne et que les possibilités offertes à l’étalonnage sont nettement étendues. La dynamique, le niveau de détails, la richesse colorimétrique font un bond en avant, mais il faut quand même rester lucide que si c’est meilleur, ce n’est pas non plus la révolution ! Il n’empêche que ce sont certainement les codecs de l’avenir car ils sont aussi les seuls à garantir le fait d’enregistrer le maximum de la dynamique du capteur, ce qui est très intéressant pour les applications HDR.

 

Le BM-Raw a une particularité que je trouve intéressante, c’est le choix proposé à l’utilisateur de privilégier un débit constant ou une qualité d’image constante. Dans cette deuxième option, le débit et donc le taux de compression va varier en fonction de la complexité des images. Les images sont encodées dans un espace de 12 bits non linéaire. Les quatre options de débit constant sont Blackmagic Raw 3:1, 5:1, 8:1 et 12:1, qui fonctionnent comme la plupart des codecs actuels avec un débit limité allant de 183 Mb/s à 46 Mb/s. À qualité constante, l’encodage va s’effectuer avec un débit variable suivant deux paramètres QO (entre 110 et 274 Mb/s) et Q5 (27 et 78 Mb/s).

 

Du côté de chez Apple, le ProRes Raw propose moins d’options, ProRes Raw et ProRes Raw HQ, tous les deux ont des débits variables et un niveau de qualité légèrement supérieur sur la version HQ. Le prochain constructeur ayant déjà annoncé le support du codec Apple avec les enregistreurs Atomos, c’est Panasonic, qui supportera ce codec en 2020 sur son excellent Lumix S1H.

 

Blackmagic de son côté propose son codec uniquement dans ses caméras et dans ses écrans enregistreurs « vidéo assist » mais ils ont choisi de le laisser en « open source » et proposent leur SDK (kit de développement) à tous les constructeurs qui veulent l’intégrer. Le gros souci avec ces histoires, c’est qu’il faut dorénavant choisir sa caméra en fonction de son logiciel de postproduction et inversement.

 

Du côté des logiciels de montage et d’étalonnage

Ainsi, à cause de la rivalité entre les deux patrons de Blackmagic et d’Atomos qui sont dans une compétition sans limites, il y a de fortes chances que le ProRes Raw ne soit jamais supporté par Davinci Resolve et, inversement, que le BM-Raw ne soit jamais supporté par Final Cut Pro X. Ceci étant dit encore une fois, le roi dollar sera peut-être l’arbitre de cette guerre et si Jeromy Young, le patron d’Atomos, est pour le moment le chef d’orchestre de ce ProRes Raw ou en tous les cas le seul à le promouvoir, il est clair que Blackmagic aurait tort de se couper d’une partie de sa potentielle clientèle et de ne pas continuer à faire en sorte que Davinci Resolve continue d’être le logiciel super ouvert à tous les formats de fichiers qu’il était jusqu’à présent ? Par ailleurs, Blackmagic paye forcement des licences sur le ProRes qui est présent dans ses versions standard sur toutes ses caméras.

 

Les seuls qui, pour le moment, ont décidé de jouer la carte de la neutralité c’est Adobe, qui a annoncé le support des deux codecs Raw rivaux, et Avid du côté des éditeurs de logiciels. Blackmagic propose depuis peu un plug-in pour Premiere Pro CC et pour Media Composer. Néanmoins il reste une question concernant la possibilité de travailler le ProRes Raw simplement sous Windows… Ça reste une invention Apple et donc c’est encore un autre souci qui risque de fragmenter encore un peu les solutions pour les utilisateurs. Côté cameras, Panasonic a assuré la compatibilité sur les deux systèmes pour son Eva1 avec un enregistreur Atomos ou un Blackmagic Design.

 

De mon point de vue, l’arrivée de ce ProRes Raw et la raison pour laquelle Atomos fait autant de communication autour de ce codec est toute simple : les codecs internes des photocams les plus récentes sont devenus très bons, les Fujifilm proposent du H265 10 bits 4:2:2 intra image, les GH5/GH5s et Lumix S atteignant les 400 mb/s d’intérêt d’un enregistreur externe pour permettre une meilleure qualité d’enregistrement devient forcément beaucoup moins intéressant.

 

Comme vous pouvez le constater, c’est donc un sacré bazar, il est bien trop tôt pour tirer des conclusions qui vous permettraient de faire les bons choix. L’idée même de proposer l’enregistrement Raw, même s’il est compressé, sur une caméra à moins de 10 K€ est forcément quelque chose qui m’intéresse, mais pour le moment les choix semblent limitants.

 

Le ProRes Raw m’intéresse car je travaille le plus souvent avec Final Cut Pro X, mais le fait qu’il faille passer par une moulinette avant de pouvoir retravailler ses images en étalonnage dans Resolve me refroidit un peu. Le problème du côté de l’écosystème créé autour du codec d’Apple c’est que les seuls logiciels d’étalonnage compatibles avec le ProRes Raw sont principalement Scratch de chez Assimilate et Base Light de chez Filmlight. Ces deux logiciels sont excellents, mais ils sont beaucoup plus chers qu’un DaVinci Resolve. Quant à la proposition de Blackmagic, qui me semble très intéressante aussi, elle est pour le moment limitée au niveau des caméras compatibles.

 

Pour conclure il va falloir trouver la bonne équation et le choix de nos outils de tournage devront de plus en plus être en adéquation avec les outils de postproduction. En bref, nous entrons dans une période qui s’annonce passionnante, mais pas forcément facile.