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Grandmas Project, une web-série collaborative au-delà des frontières
AUTOFINANCEMENT
Publié le 01/06/20
Rédigé par Alice Bonhomme
Grandmas Project est une web-série collaborative internationale qui regroupe 13 épisodes pour sa première saison. Chaque épisode répond à trois critères communs : filmer sa propre grand-mère en train de cuisiner une recette dans un film d’une durée de 8 minutes.
Grandmas Project, c’est le lait de poule de mamie Yoda, la molokheya de Nano, le mehchi de Dona Rosa, la salade cuite de Ninette, le marillenknödel de Mamé ou encore les kneidler de Julia ! Grandmas Project, c’est une initiative nécessaire, pleine de vie et d’humour qui ne parle pas que de cuisine, mais aussi de transmission intergénérationnelle, d’histoires familiales, de parcours de vie, de migrations et de devoir de mémoire… Grandmas Project, c’est surtout un projet autofinancé et un concept qui a su fédérer, se décliner et repousser les frontières de la production et du digital. Rencontre avec l’initiateur du projet, Jonas Pariente, qui travaille à l’heure actuelle sur une deuxième saison et qui a su s’ancrer pleinement dans l’avènement du numérique et du collaboratif…
Moovee : Vous avez créé Chaï Chaï Films, la société qui a produit Grandmas Project. Pouvez-vous nous la présenter et revenir sur votre formation ?
Jonas Pariente : J’ai une formation initiale en sociologie qui a contribué à forger mon regard et explique ma sensibilité au documentaire. Je suis ensuite parti à New-York pour faire un master au Hunter College qui mêlait à la fois le documentaire, les nouveaux médias et le journalisme. C’était entre 2006 et 2009 et c’était, à cette époque, avant-gardiste de mélanger ces trois domaines. Columbia et NYU, qui sont les deux autres grandes universités à Manhattan, ne le proposaient pas. C’était la période de l’apparition des smartphones, de Facebook, LinkedIn et Airbnb… Cela faisait partie de la culture de ce master de s’ouvrir au numérique et au participatif. Honnêtement, si je n’avais pas fait cette formation, je ne pense pas que j’aurais mis tout cela en place.
J’ai monté Chaï Chaï Films il y a une dizaine d’années avec un de mes amis, Mathias Mangin, qui est maintenant parti vivre au Brésil. Nous avons réalisé un épisode d’une web-séries documentaire Portraits d’un nouveau monde pour France 5 à Bombay. J’ai progressivement développé mes activités vers du corporate de start-up, de food, des making-of de longs-métrages, des campagnes de personnalités politiques, de Benoît Hamon ou Anne Hidalgo… tout ce qui tourne autour de la création de contenu vidéo.
Je voulais à l’origine devenir réalisateur de documentaires, j’ai mis du temps à tirer un trait sur ce fantasme. Je me suis rendu compte que je pouvais m’épanouir tout autant grâce à des films de commande qui correspondaient à mes valeurs et se rapprochaient du réel. Je m’y retrouvais plus qu’à courir après une chaîne pendant un an pour faire un documentaire… Maintenant, nous sommes entre trois et six personnes dans la société en fonction des périodes.
Comment est venue l’idée de Grandmas Project ?
J.P. : Les premiers essais de films que j’ai pu faire étaient sur mes grands-mères. Je voulais croiser des histoires de grands-mères avec un vecteur commun. Ce qui les rassemblait et les différenciait à la fois était, pour moi, la cuisine. Je réfléchissais à l’époque à une idée de documentaire à vendre aux chaînes. J’avais imaginé un projet avec des personnes connues qui allaient chez leur grand-mère. Par exemple, Teddy Riner chez sa grand-mère ! Les diffuseurs n’ont pas été convaincus. J’ai abandonné l’idée de me faire financer par des chaînes. J’en suis arrivé au concept de faire faire des films par des réalisateurs sur leur grand-mère. Je me suis projeté dans l’idée d’une web-série collaborative internationale. C’était facile à envisager, il suffisait d’un compte Vimeo et de rassembler les gens autour d’une communauté Facebook et LinkedIn.
Votre projet a d’abord parcouru les festivals. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J.P. : Oui, j’ai demandé l’aide au développement auprès du CNC pour les nouveaux médias. Cela n’a pas été concluant, c’était une désillusion. Mais je me suis inscrit à des concours de pitchs. J’ai été sélectionné au Sheffield Doc/Fest et au Dok Leipzig. Cela m’a permis de rencontrer des chaînes, mais c’était là encore compliqué. Par exemple, une chaîne allemande ne souhaitait mettre en avant que des réalisateurs allemands. Mais j’ai pu faire des rencontres, des personnes de chez Vimeo, Sundance ou Tribeca qui me validaient l’idée et étaient enthousiastes par rapport au projet. Et puis le projet a gagné le Prix Coup de Cœur au Sunny Side of the Doc à La Rochelle en 2014. Le Prix m’a permis de remporter un apport en industrie en postproduction, une formation transmédia et des droits musicaux. C’est vraiment ce qui a débloqué le premier film avec ma grand-mère. Ensuite les trois premiers réalisateurs à m’avoir suivi sont des connaissances : Mathias Mangin avec qui j’avais fondé Chaï Chaï Films, une réalisatrice croate avec qui j’étais à la fac à New York et une assistante de production que j’avais rencontrée pour la web-série documentaire pour France 5.
Vous avez mis en place par la suite une campagne de crowdfunding. Pourquoi avoir choisi Kickstarter ?
J.P. : Effectivement, je n’ai pas choisi Ulule ou KissKissBankBank. Kickstarter est vraiment fait pour les projets internationaux. Nous avons récolté 21 500 $ en tout pour le financement de la première saison. J’ai été agréablement surpris car les donateurs n’étaient pas que ma famille ou mes amis. Un Américain a fait un don de 1 000 $ par exemple. Cela m’a donné de l’énergie de voir que cela pouvait plaire aux gens. C’était revigorant ! J’ai pu ensuite organiser un appel à réalisateurs où j’ai reçu plus de 60 candidatures. Un jury de professionnels a sélectionné les huit meilleurs.
Vous avez reçu en janvier 2016 le patronage de l’Unesco. Comment cela s’est-il passé ?
J.P. : J’ai déposé un dossier pour en faire la demande en Commission. Il faut soumettre un projet non commercial international qui soit patrimonial et détaché des dispositifs de diffusion classique. Il a fallu d’abord passer par le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères. Grandmas Project a reçu le patronage de l’Unesco pour sa contribution au « patrimoine culturel immatériel à travers des moyens numériques ». C’est purement symbolique, mais cela a largement contribué à nous donner une couverture médiatique plus large et augmenter notre communauté en ligne sur les réseaux sociaux.
En termes de diffusion, Grandmas Project a pu être projeté aussi bien dans des musées que sur des évènements en lien avec la gastronomie. Est-ce que vous les avez démarchés ?
J.P. : Des épisodes de Grandmas Project ont été diffusé au musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAHJ) dans le cadre de leur festival Mémoires Familiales et c’est la programmatrice qui m’avait contacté. J’ai essayé d’organiser quelque chose au Musée national de l’histoire de l’immigration à Porte Dorée à Paris, mais sans succès. Ensuite il a plutôt été question de sollicitations évènementielles. Dans ce cadre-là, Bring Your Own Grandma ! a été créé pour une soirée au Palais de Tokyo et au 104 où petits-enfants et grand-mères venaient. Dernièrement, nous étions invités à la Cité de la Gastronomie Paris Rungis au Grand Palais et on s’est fait payer en frais de projection.
Un mot sur la saison 2 ? Vous avez reçu le soutien des Petits Frères des Pauvres, La Ruche qui dit Oui et Harmonie Mutuelle…
J.P. : La deuxième campagne de crowdfunding nous a permis de récolter 20 800 €. Notre appel à réalisateurs va bientôt se clôturer, nous avons reçu 23 réponses, 17 françaises et 6 internationales [mois de décembre, ndlr]. Un jury sélectionnera les meilleurs projets. J’ai des pistes pour inviter des réalisateurs connus à filmer leur propre grand-mère, mais c’est encore trop tôt pour en parler !
Des étudiants en cinéma vont s’impliquer dans le projet. Avec quelle école avez-vous établi un partenariat ?
J.P. : Les étudiants du Master Scénario, Réalisation et Production de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – qui sont une vingtaine – vont tous faire un film. Moi, je ferai une intervention pour leur présenter le projet et les contraintes imposées. Eux feront leur film jusqu’au montage image et nous paierons la postproduction de leurs trois à cinq films.
Vous comptiez étendre Grandmas Project à un livre de recettes. Est-ce toujours d’actualité ?
J.P. : J’ai eu quelques rendez-vous avec des éditeurs, mais c’est un projet qu’il faut que je relance. J’attends de trouver une pertinence dans le projet, et ne pas faire juste un ajout ou une déclinaison de Grandmas Project. Le seul avantage à ne pas dépendre d’une chaîne et d’un diffuseur, c’est de ne pas faire les choses pour des propositions alléchantes, mais pour le plaisir et pour aller au fond de la démarche du projet…
L’histoire est en train de se poursuivre pour Frankie Wallach qui a réalisé Kneidler, un des épisodes de Grandmas Project, avec sa grand-mère Julia, rescapée des camps d’Auschwitz-Birkenau…
J.P. : C’est une des plus belles histoires du projet, et à juste titre d’ailleurs. Frankie est comédienne à la base et s’est lancée dans l’aventure d’un long-métrage en docu-fiction avec sa grand-mère. Elle est en plein tournage actuellement [mois de décembre, ndlr]. Son film est produit par Agat Films & Cie / Ex Nihilo et sera distribué par Ufo ! À suivre donc…
Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.62/65. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.
Retrouvez tous les épisodes de la première saison de Grandmas Project sur le site grandmasproject.org/fr/films.