Production

Matthieu Misiraca, le chef-op qui partage

YOUTUBE

Publié le 18/01/21

Rédigé par

Chef-opérateur en télévision et fiction depuis vingt ans, Matthieu Misiraca, qui se définit aujourd’hui comme un « chef-op 2.0 », s’est risqué à lancer sa propre chaîne YouTube début 2018. Elle compte aujourd’hui plus de 10 000 abonnés et propose près de 150 vidéos.

Chaîne YouTube de Matthieu Misiraca © DR

Notre chef-op-youtubeur y partage son expérience de tournages, des conseils et avis sur les nouvelles technologies, avec un style et un humour de plus en plus affirmés et assumés. Il est aujourd’hui un des très rares chefs-opérateurs sur YouTube. Zoom sur ce succès numérique malgré le choc des générations.

 

Peux-tu nous donner ta définition du chef-op 2.0 ?

Le chef-op 2.0, que j’appelle aussi chef-op « geek », est celui qui se permet d’aller au-delà de ses fonctions ; il s’intéresse à d’autres départements et à tout ce qui peut améliorer l’image, notamment les nouveautés d’éclairage à Led. Nous sommes aujourd’hui dans une vague de chefs-opérateurs qui aiment travailler avec des gaffers [chefs électriciens ou éclairagistes responsables de la conception et de la mise en place de l’éclairage sur un tournage, NDLR] ; ils ne veulent plus se charger de nouvelles technologies de lumière, ce qui les arrange puisque cette technologie connaît une évolution exponentielle. Je fais partie de ces chefs-op qui s’intéressent à tous les outils, et ne laissent pas ça uniquement au gaffer.

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans l’aventure YouTube dont on sait qu’elle est aussi chronophage qu’incertaine ?

Cela fait vingt ans que je suis dans le domaine de l’audiovisuel. À coté de mon métier de chef-op, j’ai toujours eu une fonction de partage, j’ai été enseignant en BTS et sur Internet et j’ai créé le site camera-forum.fr en 2005. À partir de 2008 je me suis aperçu que les forums étaient un peu délaissés. Il y a toute une génération qui s’est déplacée vers YouTube. Donc, depuis très longtemps je savais que je devais y aller, mais je ne me sentais pas capable de parler tout seul devant une caméra. Enfin, je me suis enfin lancé en 2018 et j’ai recommencé à partager mon expérience et mes connaissances.

 

Quelles ont été les difficultés rencontrées au démarrage de la chaîne ?

Quand on est sur YouTube on est très vite jugé. Notre image est accessible à tout le monde. Ce n’était déjà pas facile sur Caméra-Forum et ça l’est encore moins sur YouTube. Le problème ne vient pas des commentaires et des haters (il y en a très peu) mais de ce qui se passe dans le métier.

Les gens me donnent une image de youtubeur qui ampute celle de chef-op. On sent qu’avoir des hobbies est mal vu. Chef-op, c’est un métier où on doit être sérieux, on est à la tête d’un département image sur des gros projets à plusieurs budgets et on doit avoir l’air de quelqu’un de sérieux comme un chef d’entreprise. J’avais envie d’être quelqu’un de libre, donc ça a été une vraie réflexion jusqu’à ce que je prenne le risque. Avec du recul, la notoriété acquise sur YouTube ne me fait pas gagner du travail en tant que chef-op, au contraire je pense que j’en ai perdu.

 

Quelles sont les difficultés techniques ?

Première vidéo en janvier 2018, j’y suis allé à tâtons. La difficulté était de se trouver, je n’avais pas les codes du montage, les abonnés me donnaient des conseils. J’ai regardé des références d’influenceurs et je me suis inspiré des codes de réalisation. J’ai essayé le prompteur mais ça ne marchait pas. J’essaie d’être libéré, de parler comme si je faisais un cours, sans soigner mon image. Comme pour Camera-Forum, on m’a reproché de me tirer une balle dans le pied, en révélant mes trucs de chef-op, et puis en fait on s’en fout. En France on n’est pas très partageurs, mais quand tu regardes dans d’autres pays comme aux US, c’est très différent.

 

En quoi le contenu de ta chaîne se démarque-t-il des autres ?

En France je suis pratiquement le seul chef-op à être sur YouTube. J’essaie d’expliquer le métier de chef-op, comment ça s’organise autour d’une équipe, de la lumière, et faire découvrir les projecteurs à Led. Il y a du test de matériel, mais avec un œil différent. Par exemple, les autres vont tester un projecteur en expliquant comment il fonctionne, à quoi sert ce bouton, etc. Moi, j’essaie plutôt d’y trouver une utilité professionnelle, par exemple faire une brillance dans l’œil, ou s’en servir en réflexion.

J’essaie de transposer un test de matériel dans une configuration tournage de fiction. Là où certains disent : « Ce matériel est bien », moi je dis « C’est bien, mais sur un tournage de quarante jours, ça ne pourrait pas fonctionner ». Aussi, à la rentrée de septembre 2020 je vais faire des vidéos pédagogiques très techniques, comme une formation en ligne, qui seront accessibles pour les abonnés à YouTube Premium. Je commence déjà à faire du catalogue.

 

D’après les outils d’analyse de Google, qui s’intéresse à tes vidéos ?

L’audience c’est 99 % d’hommes, les trois quarts sont français, ensuite c’est l’Algérie, le Maroc, beaucoup de pays africains car chez eux il y a zéro formation. YouTube est le seul moyen pour eux de se former, ils sont 100 % autodidactes. Ensuite il y a le Canada et tous les autres pays francophones.

La moyenne d’âge c’est 25-35 ans, des étudiants, des lycéens qui veulent s’orienter dans l’audiovisuel. Il y a aussi des professionnels qui font du « corporate » (film d’entreprise), qui ont leur petite boîte et qui veulent se perfectionner dans le domaine de l’image.

En revanche j’ai l’impression qu’il y a peu de gens de la profession. Les assistants, directeurs photo, électriciens, etc. Au début c’était très ciblé « pro » et depuis quelque temps, j’ai élargi le spectre pour toucher un public plus amateur et amener ces gens dans un domaine plus professionnel.

 

Parmi les cinq vidéos les plus regardées, trois concernent les caméras Blackmagic. Comment est-ce que tu l’expliques ?

Oui, j’ai trouvé mon fonds de commerce sur YouTube (rires), c’est Blackmagic, tout le monde l’a compris. Au début j’ai parlé de leur caméra 4K avec ses défauts, et il y a eu un défoulement de haters dans les commentaires, comme si j’avais atteint une religion, et moi plus on me titille, plus j’en rajoute. J’en ai même fait un jeu.

On m’a dit que j’étais élitiste, mais les 25-35 ans aujourd’hui font partie d’une génération pour laquelle mettre 1 000 € dans une caméra, c’est cher, alors que je fais partie d’une génération où une caméra coûtait 100 000 €, et encore, elle ne faisait que de la HD. Aujourd’hui même la dernière Arri Mini LF coûte 60 000 € et c’est raisonnable. À mon époque, pour 60 000 € on avait la Varicam en 720p avec capteur 2/3’’.

Les gens n’ont pas toujours l’œil affiné lorsqu’ils ont toujours travaillé avec des hybrides, mais ce sont les petites subtilités qui justifient le prix d’une caméra. Aussi la vidéo qui a fait le plus de vues est celle sur le Trinity de Arri. J’ai hésité à la faire car c’est un produit ultra professionnel, je pensais que ça ne marcherait jamais. Donc je l’ai vulgarisé, j’ai fait le con, j’ai mis une miniature et un titre « putaclic » et en fin de compte, c’est celle qui a le mieux marché…

 

Sur certaines vidéos, tu montres des talents de comédien dans des mises en scène de plus en plus déjantées. Est-ce que tu t’orientes vers un « Misiraca Show » ?

Pour fêter les 1 000 abonnés, j’ai décidé de faire un truc déjanté et ça a très bien marché. Pour les 10 000 abonnés je voulais aller plus loin en faisant de l’ASMR avec de l’équipement vidéo. Je trouvais les vidéos d’ASMR ridicules et j’aime bien pointer du doigt les trucs ridicules alors j’ai décidé d’y aller à fond avec maquillage, ongles et perruque. Jusqu’au dernier moment j’ai hésité à la publier, pendant longtemps la vidéo est restée en mode privé. Je me suis dit, je vais trop loin, ma carrière de chef-op est finie (rires). Aussi dans certaines vidéos, je joue sur l’ambiguïté (par exemple : « le Clip de Rap qui tourne mal »), je mets en scène des difficultés sur le tournage avec des sketchs filmés de telle sorte qu’on croie que c’est vrai.

Le principe de la chaîne est de vulgariser et de déconner autour de la technique pour rendre la technique plus accessible. Je ne veux pas que ça devienne le Misiraca Show, mais j’ai envie de m’amuser sans me mettre trop de limite. J’aime aussi faire participer des intervenants externes : un ancien étudiant, Max, Albert de SOS Cine, Clovis de Puzzle Video et Jacqueline de Acc&Led pour des présentations en mode ping-pong plus dynamiques.

 

La chaîne de Matthieu Misitraca est accessible via le lien www.youtube.com/c/matthieuMisiraca

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.48/50. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.