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Créer le rythme avec les mouvements de caméra
RYTHME
Publié le 14/06/20
Rédigé par Aurélie Gonin
La magie de l’image animée, c’est justement qu’elle bouge. Non seulement le sujet évolue à l’intérieur du cadre, mais lui aussi se met en mouvement. Que la caméra pivote sur son axe, avance sur un rail ou vole sous un hélicoptère, les possibilités sont immenses et à des échelles très diverses. Nous allons voir les principaux mouvements et comment les réaliser avec le meilleur rendu.
Commençons par un peu d’histoire
À l’origine, les films étaient constitués d’une succession de plans fixes. Cela s’explique avant tout par des contraintes matérielles, car l’équipement était extrêmement lourd et encombrant. Les opérateurs utilisaient donc systématiquement un trépied. Les premières caméras n’avaient pas de visée, aussi le cadre et la mise au point étaient réglés en amont et ne pouvaient être changés pendant la prise de vue au risque de rater le plan, interdisant les panoramiques. Pour mettre l’ensemble en mouvement il fallait les placer sur un moyen de transport, par exemple une voiture ou même un bateau, puisque le premier travelling de l’histoire serait celui effectué par un des opérateurs Lumière depuis une gondole à Venise en 1896.
Le matériel a évolué petit à petit : les caméras ont gagné une visée et perdu leur entraînement par manivelle, libérant ainsi une des mains de l’opérateur pour lui permettre d’envisager des rotations sur l’axe du pied en réduisant les saccades autant que possible. La machinerie aussi avec les premiers chariots, sur roues ou sur rails, sur lesquels sont installés la caméra et son opérateur, poussés par le chef machiniste.
Par la suite, les têtes des trépieds sont devenues plus fluides, les chariots de travelling se sont améliorés et d’autres systèmes ont été inventés : grues, cablecams, steadicams… Dès les années trente, Leni Riefenstahl fixait des caméras sur les montées de drapeaux pour faire des travellings verticaux des rassemblements nazis ou sur des rails le long des pistes d’athlétisme pour les Jeux Olympiques de Berlin. Aujourd’hui, les ciels des stades sont parsemés de skycams.
La miniaturisation et l’allégement des caméras, de leurs supports d’enregistrement et de leurs batteries a permis d’autres possibilités narratives. En devenant transportables à l’épaule ou à la main elles ont ouvert la voie à des prises de vue bien plus dynamiques, que ce soit pour filmer les actualités ou la scène d’introduction de Trainspotting, de Danny Boyle. Les stabilisateurs ont contribué eux aussi à multiplier les possibilités, grâce aux steadicams d’abord, puis aux stabilisateurs à la main et aux têtes gyroscopiques placées sous un hélicoptère ou un drone.
Aujourd’hui le champ des possibles est extrêmement vaste, puisque nous avons à disposition toute une gamme de caméras et de machineries pour réaliser tous les mouvements souhaités.
Le plan fixe
Le premier que nous allons aborder n’en est pas un : c’est le plan fixe, une photographie dans laquelle le sujet est animé. Comme nous l’avons vu, c’est le plan originel, qui reste extrêmement utilisé malgré les possibilités de mouvements actuelles. Un enchaînement continu de travellings peut être lassant ; aussi, l’alternance avec des plans fixes permet de se poser ou de se concentrer sur le discours d’une personne interviewée. Pour un montage très rapide il est difficile de lire des plans en mouvement très courts car il y a trop d’informations, donc il est préférable d’enchaîner des plans fixes.
Dans un plan fixe on a une plus grande maîtrise de la composition puisqu’elle n’évolue pas, c’est juste l’intérieur du cadre qui va se mettre en mouvement. On peut donc soigner le cadrage, faire attention à la règle des tiers, placer un objet en amorce ou laisser entrer un flare de lumière, bref composer une image prête à capter un instant décisif. On peut utiliser un trépied, ou simplement bien se caler pour filmer à la main sans bouger.
Pour créer une illusion de mouvement dans un plan fixe on peut effectuer un changement de focale, un zoom, ou un rattrapage de point, pour amener l’attention du spectateur d’une zone de l’image à une autre. Attention toujours à ce que cela fasse sens, avec l’émergence des caméscopes les amateurs se sont trouvés atteints d’une « zoomite » aiguë, puis avec celle des grands capteurs on a vu proliférer des rattrapages de point « pour faire joli » qui n’amènent le regard sur aucun élément significatif. Comme nous le verrons ci-après pour les mouvements de caméra, un changement de focale ou un rattrapage de point doivent avoir un début, une fin et une justification.
Le panoramique
Le second est le panoramique, à savoir le pivotement de la caméra sur son axe. La caméra elle-même ne se déplace pas, elle effectue une rotation horizontale ou verticale, comme lorsqu’elle suit l’os lancé par un singe dans 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Comme nous l’avons vu plus haut, les opérateurs ont été freinés par des contraintes techniques avant de pouvoir effectuer en 1900 les premières rotations de 120 ° pour présenter des panoramas, inspirés par le travail de photographes qui plaçaient côte-à-côte des tirages pour présenter un vaste paysage. Par la suite, les trépieds se sont équipés de têtes de plus en plus fluides ou de robots pour des rendus plus souples. Quand les caméras sont devenues portables il est devenu possible d’effectuer les rotations à l’épaule ou à la main, en prenant soin de conserver l’horizontalité pendant le mouvement.
Le panoramique est ainsi très utilisé dans les plans de situation, dans un documentaire ou une fiction, pour introduire un lieu et en donner la dimension, mais aussi pour suivre un sujet en mouvement. Il est très fréquent de suivre des déplacements en faisant pivoter sa caméra au même rythme qu’un personnage qui marche, une voiture qui roule, un léopard qui chasse, un skieur qui dévale une pente… Les exemples de panoramiques sont aussi vastes que les sujets filmés, et le rendu est d’autant plus agréable qu’un sujet est prétexte au mouvement.
Un lent panoramique sur un paysage peut être ennuyeux à regarder, alors que s’il est emmené par un élément, qu’il s’agisse d’une rivière ou d’un oiseau en vol par exemple, il paraît parfaitement naturel. Dans ce cas, la caméra va suivre le mouvement et en aucun cas le remonter. Dans l’exemple de la rivière, le panoramique s’effectue dans le sens de l’eau qui coule, ou du flot de voitures en ville, sans quoi l’impression est désagréable.
En Occident, on lit de gauche à droite, qu’il s’agisse de texte ou même d’images, car notre cerveau y est habitué. Une rotation vers la droite est donc plus facile à lire que vers la gauche. Comme pour les rattrapages de point, un panoramique doit avoir un début et une fin. Il n’est pas question de laisser errer le cadre sans savoir où aller, comme les plans typiques des amateurs avec un caméscope. Chaque cadrage ou mouvement doit être intentionnel, contribuer à apporter du sens et se justifier dans la narration.
Le travelling
Le troisième, enfin, est le travelling. C’est l’essence du mouvement puisque c’est la caméra elle-même qui se déplace. Comme évoqué précédemment, les opérateurs ont, dès les débuts du cinéma, eu envie d’évoluer dans l’espace, mais l’équipement limitait grandement les possibilités. Au milieu du vingtième siècle les travellings sont devenus de plus en plus présents dans les fictions, bien que longs à mettre en place et au rendu parfois chaotique. Au fur et à mesure des années, ils sont devenus de plus en plus fluides, les caméras et machineries ayant grandement évolué pour permettre des mouvements de plus en plus vastes. C’est parce que les caméras ont pu devenir moins volumineuses et moins lourdes, avec des supports d’enregistrement minuscules et des batteries bien plus légères et efficaces, qu’elles ont gagné en mobilité.
Aujourd’hui on peut envisager des travellings à des échelles extrêmement variées et dans toutes les dimensions. Citons par exemple un slider utilisé pour un packshot, une actioncam fixée sur le casque d’un athlète, un stabilisateur pour suivre un personnage, une cablecam au-dessus d’un stade, ou même, pour se déplacer dans tout l’espace une grue, un drone ou une boule gyrostabilisée sous un hélicoptère… Les possibilités sont immenses, rapides à mettre en place et peu onéreuses, donc accessibles au plus grand nombre.
La difficulté pour le cadreur est de conserver une belle composition pendant tout son déplacement, d’avancer tout en fluidité, de garder son sujet dans la partie de l’image voulue, de faire évoluer les réglages d’exposition si nécessaire… Il y a davantage de paramètres à prendre en charge dans la mesure où tout évolue constamment. Mais le rendu est particulièrement vivant et dynamique, c’est pourquoi la majorité des plans aujourd’hui sont des travellings.
Que vous aimiez particulièrement les plans fixes, avec ou sans changements de focales ou rattrapages de point, les panoramiques ou les travellings, c’est le mélange de tous ces mouvements de caméra qui viendra donner du rythme à un montage, en apportant des visions différentes du sujet. N’hésitez donc pas à les multiplier, ne serait-ce qu’en hommage aux pionniers qui, un siècle avant nous, auraient bien aimé avoir cet éventail de possibilités pour servir leur narration.
Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.86/88. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.