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La (r)évolution de l’esthétique vidéo
MÉTAMORPHOSE
Publié le 07/05/20
Rédigé par Aurélie Gonin
Le temps où les vidéos qu’on regardait sur Internet ressemblaient aux reportages des journaux télévisés nous paraît loin. Et pourtant, c’était il y a quelques années seulement. Entre-temps nous avons changé. Nous ne regardons plus les images avec le même œil ni sur le même support ; aussi les vidéos ont dû s’adapter et évoluer pour suivre ces transformations. Sans même nous en rendre compte, nous avons été acteurs et témoins d’une véritable révolution.
Pendant ses premières décennies, la vidéo était regardée exclusivement sur des téléviseurs, soit en diffusion directe, soit en lisant des supports du type cassettes VHS ou DVD. Les formats étaient principalement dictés par la programmation des chaînes de télévision, avec des déclinaisons de durée allant des documentaires de cinquante-deux minutes aux reportages d’une minute trente. Les formats longs ayant peu évolué, ce sont les courts qui nous intéressent.
La majorité des sujets des journaux télévisés était ainsi construite autour de deux interviews d’une vingtaine de secondes, encadrées par des séquences commentées en voix-off par le journaliste, qui pouvait apparaître face caméra et micro en main à la fin de son sujet pour la phase de conclusion. Quand Internet est devenu suffisamment rapide pour permettre la lecture de vidéos, les premières ont été conçues sur ce schéma car c’est ce que savaient faire les réalisateurs et ce à quoi les spectateurs étaient habitués.
Pourtant, le public plus jeune et plus sensible à la culture clips-jeux vidéo-sports de glisse s’est rapidement lassé de ces reportages calibrés pour réclamer des vidéos plus dynamiques avec des images plus attrayantes. Ce sont plusieurs évolutions techniques majeures survenues à la fin des années 2000 qui ont apporté les solutions :
– les ordinateurs sont devenus bon marché,
– les appareils photo se sont transformés en caméras,
– les smartphones et tablettes ont envahi les foyers,
– Internet s’est accéléré.
L’ensemble a complètement changé le monde de la vidéo. Commençons par les deux premiers points qui ont considérablement impacté la production audiovisuelle. Alors que celle-ci était jusqu’alors réservée à une certaine élite installée dans la profession, la démocratisation des ordinateurs, et donc des stations de montage, a rendu possible à tout un chacun de créer ses propres films. Dès lors, de nouveaux talents ont pu émerger et proposer d’autres types d’écriture, facilement diffusables via Internet.
De même l’image vidéo avait une esthétique indissociable de celle de la télévision, mais l’arrivée sur le marché des DSLR pouvant filmer a complètement changé le visuel des productions à petit budget. Leurs grands capteurs offrant des profondeurs de champ courtes ont permis de généraliser un type d’image qui était jusqu’alors réservé au cinéma.
La combinaison de ces deux phénomènes apparus presque simultanément a complètement modifié l’aspect des vidéos destinées au web. Celles-ci sont devenues plus léchées, avec des plans soignés et abondant d’effets de ralentis, timelapses, ou rattrapages de mise au point qu’on ne voyait pas auparavant dans ce type de production. Les narrateurs ont disparu de l’image, remplacés par des commentaires en voix-off. Pour augmenter encore l’aspect « cinématographique » il est devenu fréquent de réduire le ratio de l’image du 16:9 à un format plus panoramique rappelant le grand écran.
De même, des génériques déroulants sont venus clore les vidéos, comme pour des courts-métrages. Pour laisser du temps à la narration et en enchaînant les morceaux de musique de différents rythmes, les vidéos ont facilement atteint des durées de six à dix minutes. La qualité visuelle a fait un énorme bond en avant, ainsi que la réalisation, qui est devenue moins académique et plus créative.
Pour autant, bien que les vidéos soient devenues plus esthétiques, elles sont aussi plus abondantes. La plus grande facilité d’utilisation des équipements de prise de vue et de postproduction, combinée à leur coût réduit, a vu la prolifération des vidéos dans tous les domaines. En plus des plates-formes comme YouTube, désormais devenues traditionnelles, sont apparus les réseaux sociaux, avec en premier lieu Facebook et son mur déroulant à l’infini son flot d’images fixes et animées. Capter l’attention des spectateurs sur-sollicités est donc devenu un véritable enjeu.
Dès lors, il a fallu modifier la forme des vidéos. La durée moyenne d’attention étant passée sous la barre des trois minutes, les vidéos ont dû réduire leur durée pour s’assurer d’être regardées jusqu’au bout. Leur visionnage ayant souvent lieu au travail, sur l’ordinateur de bureau, le son a dû être repensé pour une utilisation muette. Ainsi les commentaires ont laissé place au texte, l’information devant passer par des mots-clés affichés sur l’image plutôt que par une voix-off. De même les interviews se sont réduites et sont devenues systématiquement sous-titrées. Afin d’ébranler le spectateur, le journaliste s’est adressé à lui directement, avec un regard face caméra frontal pour augmenter l’impact de son message.
La construction même des vidéos a dû s’adapter. Quand l’internaute fait défiler quantité de posts, les premières secondes sont déterminantes pour l’inciter à s’arrêter sur une vidéo pour la regarder un peu plus longuement, voire en entier, ou au contraire à continuer son scroll. Il n’est donc plus envisageable de démarrer par un panneau de titre ou un générique d’intro, il faut mettre en tout premier lieu l’image la plus marquante, et ainsi complètement modifier la construction de la narration. Il est difficile de conserver l’attention avec un rythme paisible, donc les montages se sont accélérés pour garder le cerveau captif le plus longtemps possible, s’aidant de musiques épiques ou de type dubstep pour augmenter l’impression dramatique et tenir le spectateur en haleine.
Les génériques de début étant devenus contreproductifs, ils sont venus se placer à la fin et ont dû trouver une certaine attractivité pour espérer être un peu regardés : textes affichés sur les dernières images de l’histoire, logos en mouvement… Les vidéos se sont ainsi adaptées aux nouveaux modes de consommation, sans se douter alors que la métamorphose était loin d’être finie.
Parmi les évolutions techniques majeures citées précédemment, ce sont les deux dernières qui ont eu le plus d’impact ces dernières années, quand les performances combinées d’Internet et des téléphones ont placé ces derniers en tête des supports de visionnage de vidéos, devant les ordinateurs, les tablettes et les téléviseurs. Si la télévision est le « petit écran » par rapport au cinéma, on est cette fois dans l’ère de l’écran minuscule.
Le téléphone étant généralement tenu verticalement, il ne fait plus sens de proposer des vidéos horizontales, et encore moins panoramiques, de crainte qu’elles ne soient indéchiffrables. Les formats sont donc désormais carrés, dans un ratio 4:5 ou dans un 9:16 vertical pour remplir tout l’écran. Dès la phase de prise de vue, les cadrages se font plus serrés, avec des gros plans adaptés à un visionnage sur petit écran, mais aussi en centrant le sujet sur une partie du cadre pour rendre possible une exploitation carrée ou verticale du plan. De même les textes ont grossi, occupant une plus grande place dans le cadre pour rester lisibles sur un écran de quelques centimètres de largeur. Au lieu de sous-titrer une longue phrase d’interview, on place des mots-clés aux couleurs chatoyantes en travers de toute l’image pour qu’ils puissent facilement être lus.
Facebook reste le réseau social le plus utilisé et le premier site de visionnage de vidéos, mais Instagram a fortement progressé, surtout auprès des moins de trente-cinq ans. En imposant une durée maximale d’une minute pour les vidéos et de quinze secondes pour les stories, la plate-forme a modifié l’ensemble de la production audiovisuelle destinée aux réseaux sociaux, avec désormais des durées de quarante secondes en moyenne, et de quelques secondes pour les stories. Un film de deux minutes qui véhiculait trois idées est maintenant décliné en trois films de quarante secondes illustrant chacun une seule idée. Il s’agit avant tout de teaser pour exister sur la toile.
Les entreprises ont bien compris les enjeux de marketing liés à ces médiums et les publicités ont envahi les réseaux sociaux. Les internautes n’ont pas été longtemps naïfs face à ce bombardement et la crédibilité de ce type de communication s’est dégradée, au profit du placement de produit plus subtil et surtout des influenceurs. Ces derniers, bien que financés par ces mêmes marques, ont su gagner la confiance des consommateurs par leur message plus spontané. En conséquence, les vidéos doivent avoir un look amateur pour être crédibles. On assiste donc à un revirement par rapport à la fin de la décennie précédente, qui va à l’encontre des motivations de l’époque : pourquoi tourner en 8K pour un visionnage sur téléphone, pourquoi proposer des images léchées quand celles-ci sont moins attrayantes pour le spectateur, pourquoi chercher des effets de montage quand un plan unique est plus percutant ?
Ces quinze dernières années ont ainsi vu une métamorphose complète des vidéos, dans leurs aspects visuels et sonores, mais aussi dans leur construction et modes de narration. Tout cela laisse supposer que la révolution est loin d’être terminée. Quels seront alors les prochains formats dominants : le live, les plans isolés ? Nos téléviseurs suivront-ils l’influence des téléphones pour devenir verticaux et tactiles, afin de reprendre une place dominante parmi nos écrans ? Une seule chose est sûre : la vidéo va encore grandement évoluer pour s’adapter constamment aux nouvelles habitudes des spectateurs, et ce sera passionnant de suivre ses transformations.
Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.78/80. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.