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« Jumbo », un objet cinéma fascinant

ETRANGE & POÉTIQUE

Publié le 07/10/20

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Anaïs Bertrand, à la tête d’Insolence Productions, présente Jumbo, premier long-métrage de Zoé Wittock, une balade au creux de l’esprit de Jeanne, passionnément en amour d’un bien curieux objet : un manège.

« On voulait quelqu’un qui comprenne bien cette fille, qui joue sa folie, sans tomber dans la caricature. Noémie Merlant l’a emporté. » © DR

Une plongée entre fantasme et réalité, sélectionnée notamment à Sundance et à Berlin. Retour sur la production de ce film inclassable, déroutant et hypnotisant.

C’est lors du festival breton Court Métrange 2013 qu’Anaïs Bertrand rencontre Zoé Wittock. La jeune Belge y présente en sélection son film de fin d’études réalisé à l’American Film Institut, This is not an Umbrella. « J’étais dans le jury et j’ai pu lui remettre une Mention spéciale », explique la jeune productrice. Séduite par la personnalité de la réalisatrice, elle se renseigne sur ses projets. De retour des États-Unis, la jeune Belge, tout juste installée à Paris, lui envoie le scénario qu’elle a écrit pendant ses études.

« On a commencé à développer Jumbo dès 2014. Quand je l’ai lu, j’ai eu un immense coup de cœur, même si l’histoire était à l’origine ancrée aux États-Unis. Le scénario, qui fait la part belle à l’étrange et à la poésie, s’inscrivait parfaitement dans notre ligne éditoriale », glisse-t-elle.

Jumbo est un film extrêmement singulier. Il suit l’état d’esprit de Jeanne, une jeune fille atteinte d’objectum-sexualité, un symptôme que les scientifiques rapprochent parfois de l’autisme Asperger. Et Jeanne aime Jumbo, un manège, la star du parc d’attraction où elle travaille.

« L’histoire est inspirée de celle d’Érika Eiffel, qui s’est mariée avec la Tour Eiffel et que Zoé Wittock a rencontrée quand elle écrivait le scénario », précise Anaïs Bertrand. Dès sa lecture, c’est pour la jeune productrice, une évidence, Jumbo sera son premier long-métrage.

 

De l’art de rentrer dans les cases… Ou pas

Financer ce script hors norme ne va pas couler de source. Elle décide alors de le positionner comme un film d’auteur européen, proposant à la réalisatrice d’étoffer la personnalité de la jeune fille, d’injecter une touche de drame psychologique, tout en préservant la relation mère-fille, essentielle pour Zoé Wittock. Malgré ces efforts, trouver l’intégralité du financement en France relève de la gageure. « Si Jumbo est un drame teinté de genre, il n’y bascule jamais totalement. »

Elle décroche l’avance sur recettes du CNC. De plus, le distributeur Rezo Films se positionne sur le scénario, tout comme le vendeur international, WTFilms dont le minimum garanti est porté par la Sofica, SofiTvciné. C’est auprès des télévisions que cela coince : Jumbo, jugé « très clivant », n’entre pas dans les cases.

Pour compléter le budget, 2,9 millions d’euros, Anaïs Bertrand se tourne vers la Belgique, pays d’origine de Zoé Wittock. Lors du Festival de Cannes, on lui présente Annabella Nezri, qui vient de créer Kwassa Films. Séduite par les courts-métrages de la jeune réalisatrice, la productrice belge entre dans l’aventure et présente Jumbo à la Fédération Wallonie Bruxelles, puis à Wallimage, décroche un pré-achat TV de Proximus et fait bénéficier Jumbo du tax-shelter.

Se pose alors la question du lieu de tournage. Si Anaïs Bertrand le situe idéalement dans le nord de la France, l’absence de financement d’une chaîne française met à mal le budget, même avec une aide régionale. C’est au Luxembourg qu’elle va pouvoir le boucler. Pour un apport de 900 000 euros, la contrepartie est de taille puisque 51 % du tournage – 33 jours au global – doit se dérouler dans le Grand-Duché.

Si le cœur du récit se déroule dans le parc d’attractions Plopsa Coo, à Stavelot, en Belgique, tout le script est entièrement réadapté pour entrer dans ces nouvelles contraintes. Heureusement, les paysages restent cohérents, les deux lieux de tournage étant à une heure l’un de l’autre. « Cela a créé des complexités. L’enjeu était de ne pas perdre la relation entre la jeune femme et le manège, tout en respectant les indications du Film Fund Luxembourg. » Enfin, grâce à cette coproduction tripartite, le producteur luxembourgeois, Les Films Fauves entrant dans la danse, Jumbo a aussi bénéficié de l’aide sélective d’Eurimages.

 

Un casting cinq étoiles

Une fois le financement bouclé, les questions de repérage réglées, tout l’art a été de trouver le casting et l’un des personnages principaux : le manège. « Il appartient à M. Papavero, le dernier forain itinérant français. Nous avons fait un casting de manèges et choisi celui-ci qui avait l’avantage d’être manuel. Nous avons changé sa carte graphique grâce à un informaticien et installé nos codes couleurs, une personne était chargée sur le tournage des lumières et des chorégraphies. Cela nous a permis d’obtenir des scènes sans ratés », détaille Anaïs Bertrand.

L’autre réussite de Jumbo tient dans le choix impeccable des comédiens très impliqués dans ce récit entre réalité et délire. Ainsi, Emmanuelle Bercot a été la première à signer pour incarner cette mère que l’on croirait sortie d’un film de Xavier Dolan. « J’avais une évidence sur Bastien Bouillon, qui joue le directeur du parc, et il a fait l’unanimité en casting », reprend-elle.

Pour jouer Jeanne, le choix est plus compliqué. Près d’une centaine d’actrices sont auditionnées. « On voulait quelqu’un qui comprenne bien cette fille, qui joue sa folie, sans tomber dans la caricature. Noémie Merlant l’a emporté. » Enfin, dans le cadre de la coproduction, le copain de la mère devait être belge. « Sam Louwyck n’était pas du tout dans le physique du personnage d’origine, et pourtant, son choix a été une évidence. »

Avec Jumbo, Anaïs Bertrand, qui a fait ses armes comme lectrice dans des sociétés de production de longs-métrages, productrice de VFX notamment chez Buf (Arthur et les Minimoys, le diptyque Mesrine), n’a pas choisi la voie de la facilité. « Le plus compliqué avec un film comme Jumbo a été de convaincre qu’il a sa place dans le paysage français et international. Pour y arriver nous avions un dossier extrêmement léché avec des moodboards et un mood video, un pré-poster, etc. Il faut clarifier ce qu’est son film quand on a un projet aussi non identifié entre les mains ; il faut le rendre le plus visuel, le plus palpable possible afin de convaincre qu’on est capable de le mener à bien », conseille-t-elle.

L’aventure de Jumbo ne fait que commencer : après avoir été présenté en première mondiale au festival de Sundance, puis au festival du film fantastique de Gérardmer, il a été présenté en compétition à la Berlinale (Generation Kplus).

 

Fiche technique

Date de sortie : 1er juillet 2020
Réalisatrice : Zoé Wittock
Productrice : Anaïs Bertrand, Insolence Productions
Coproducteurs : Annabella Nezri, Kwassa Films ; Les Films Fauves.
Soutiens : Avance sur recettes du CNC ; soutien de Wallimage et de la Fédération Wallonie Bruxelles, Tax-shelter, Film Fund Luxembourg, Eurimages ; pré-achat Proximus (TV belge).
Distributeur : Rezo Films.
Vendeur international : WTFilms.
Prochaine sortie : Chien de la casse, de Jean-Baptiste Durand, lauréat 2017 Groupe Ouest – Sélection annuelle et Moulin d’Andé, aide à l’écriture de la Région Occitanie, aide à la réécriture du CNC, en résidence chez Émergence. En financement.

Jumbo a été présenté en ouverture du Champs-Elysées Film Festival en ligne, en juin dernier.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.94/95. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.