Classe Alpha, l’insertion professionnelle selon l’Ina

Depuis le 1er octobre 2020, Ina sup accueille à Bry-sur-Marne cent étudiants supplémentaires dans le cadre de Classe Alpha, un programme d’inclusion sociale et d’insertion professionnelle.

Les élèves disposent d’un enseignement sur mesure. Certains décideront de poursuivre des études, d’autres de plonger dans la vie professionnelle. Une aventure incroyable pour tous ! © DR

Une initiative originale de l’École supérieure de l’audiovisuel et des médias numériques dont le but est de donner des outils pour appréhender les mutations numériques de notre secteur d’activité, auprès de jeunes parfois mis sur la touche.

La Classe Alpha s’est inscrite, dès sa genèse, dans le cadre des Zones de sécurité prioritaire (ZSP), opération au cours de laquelle il était demandé à des établissements publics de mettre en place des actions de présentation de leur travail dans des quartiers quelque peu difficiles.

Deux responsables pédagogiques de l’Ina avaient alors réalisé un premier travail avec les jeunes du quartier de Bois l’Abbé (commune de Champigny et de Chennevières), une cité à proximité des locaux de l’Ina.

« En discutant avec eux, Laurent Vallet, président de l’Ina, et moi-même, nous nous sommes demandés comment l’Ina et son dispositif de formation initiale pourrait proposer une véritable voie à ces jeunes qui, à tort ou à raison, ne se sentent pas bien accueillis dans le dispositif classique de formation aux métiers de l’audiovisuel. Nous avions compris que les dispositifs existants leur paraissaient réservés uniquement à qui détient les codes adéquats, alors que paradoxalement le secteur de l’audiovisuel n’a, au fond, pas de grandes chartes hiérarchiques et peu de chartes académiques. Les caractéristiques de ce secteur nous permettaient de penser que ces adolescents-là pourraient vraiment faire leur chemin dans ces métiers, mais que leur entrée dans les formations n’était pas au point », indique Alain Rocca, conseiller à la présidence pour la stratégie éditoriale, pédagogique et de développement international

Avec l’appui du noyau dur de la formation initiale, un premier projet de cursus complet très intensif sur un an, d’octobre à juin, très ouvert et sans condition de diplômes, a été imaginé. Ce travail a duré un an. Et la « bonne fée », ce fut la rencontre d’Alain Rocca avec Valérie Pecresse, la présidente de la région d’Île-de-France très impliquée dans l’apprentissage, l’alternance, la pédagogie métiers, lors du Festival de Cannes 2019.

« Je lui ai signifié que nous étions prêts à nous lancer, que toute notre ingénierie pédagogique était prête, mais qu’il nous manquait un peu d’argent. Elle a alors contribué à activer des dispositifs d’aide à la région. Ensuite, tout est allé très vite. Nous avons été éligibles au PRIC (Pacte régional d’investissement dans les compétences). Nous avons fait notre première rentrée en octobre 2020. »

Candidatures, choix des participants

Ce projet est unique à de nombreux égards, autant par ses objectifs que sa nature et par le nombre de participants. En effet, la jauge est de cent élèves, ce qui est tout de même ambitieux, massif ! Des cursus d’insertion professionnelle et pré-qualification existaient déjà, mais pour de petites jauges de quinze ou vingt personnes. Pourquoi autant ? Covid ou pas Covid, il faut produire du contenu audiovisuel. L’audiovisuel, et plus généralement les médias numériques, sont en croissance. Il y a de la place !

« Nous avons fait très peu de publicité et avons été fort surpris par la grosse demande. Nous nous sommes volontairement limités à deux cents dossiers. Nous sommes vite passés dans une logique d’entretiens, de passages devant un jury pour atteindre une promotion finale de cent personnes. Côté mixité, notre promotion compte 40 % de femmes. Quelque 48 % de nos élèves sont des “ Neet ”, terme anglais signifiant “ Not in Education, Employment or Training ”, autrement dit ils n’avaient pas d’emploi, n’étaient ni étudiants ni stagiaires, n’ont pas le bac », poursuit Alain Rocca.

Déroulement de la formation

Les cours ont débuté en octobre 2020 en présentiel. Le deuxième confinement est arrivé. Toutefois, le projet a pu bénéficier d’un certain nombre de dérogations puisque, même si aucun diplôme n’est exigé à l’entrée, cette Classe Alpha est considérée comme une classe préparatoire en termes d’organisation. La promo de cent étudiants est répartie par classes de dix. Dans la dynamique de groupe, le présentiel est vraiment important. « Toute notre pédagogie est construite autour de ce travail en groupe. Cette promotion a eu tout de même suffisamment de temps pour créer un “esprit promo” qui commence à exister. »

Le cursus comprend deux volets : une première partie réservée à l’acquisition des fondamentaux afin de comprendre le secteur de l’audiovisuel ; une deuxième partie comprenant un début d’orientation. Autrement dit, soit vous choisissez de sortir du cursus et de basculer dans l’emploi avec votre certification à un premier niveau de qualification, soit vous décidez que finalement vous avez envie d’aller plus loin dans des études qualifiantes et vous poursuivez vos études.

Le tronc commun court jusqu’à fin mars et en avril-mai-juin les étudiants font le choix entre sortir du cursus ou poursuivre des études qualifiantes. Dans le premier cas, nous avons chez nous une personne dédiée à ces jeunes pour leur trouver un emploi. Dans le second cas, on suit un certificat Ina compétence métier.

« Tous nos formateurs ont exprimé leur volonté de travailler dans ce type de classes et je pense qu’ils sont extrêmement contents d’avoir face à eux des jeunes assez formidables et enthousiasmants. Ce qui n’est pas surprenant puisque notre sélection s’est articulée autour de deux principaux axes : la motivation, l’enthousiasme des candidats et leur aisance d’usage (et non pas technique) avec les outils digitaux. »

Futur

Pour mettre en place cette première année, l’Ina a accompli un gros effort qu’elle entend poursuivre. L’ambition est non seulement de pérenniser cette classe mais aussi de rendre ce dispositif encore plus puissant en matière d’entreprises partenaires en s’associant, ce n’est pas un secret, à France Télévisions.

« Nous visons également des pistes d’élargissement de notre dispositif dans une dimension territoriale, géographique. Leurs jauges seraient réduites, adaptées aux gisements d’emploi desdits territoires, mais le concept pédagogique resterait identique en accordant une très grande liberté d’ajustement aux pédagogues locaux. Nous ne disposerons de chiffres d’insertion qu’à la fin du cursus, mais d’ores et déjà nous savons que nous répondrons à une attente énorme de cette jeunesse, laquelle tout d’un coup entrevoit une voie d’accès aux métiers de l’audiovisuel. Et notre formation ne leur fait aucunement peur, alors même qu’elle se veut exigeante et à la hauteur de la qualité Ina », conclut Alain Rocca.

UN PROGRAMME COMPLET ET EN MOUVEMENT

De début octobre à fin avril, l’enseignement se fait sous la forme d’un tronc commun afin de sensibiliser les étudiants aux différentes techniques de l’audiovisuel. Bien évidemment, la crise sanitaire complique les choses. Néanmoins, ils ont pu se rencontrer et pratiquer tous ensemble avant le deuxième confinement.

« Nous ne voulons pas séparer la pratique et la théorie. Le but était de les immerger tout de suite dans le monde de l’audiovisuel pour qu’ils puissent se rendre compte des réalités de ces métiers et favoriser la compréhension des notions plus théoriques », indique Pierre Michel, directeur de la Classe Alpha, assurant la supervision générale, les partenariats externes et la communication.

Le premier exercice fut la réalisation d’un portrait croisé, filmé au smartphone et monté sur DaVinci de Blackmagic Design. Cela leur a permis de mieux se connaître et de toucher aux outils de manière concrète. En termes de cours, les étudiants ont commencé à suivre un cursus pluridisciplinaire avec des cours de culture audiovisuelle, mais aussi de dessin, d’expression orale et d’expression artistique. Le but étant de casser un peu le moule et les codes dans lesquels ils évoluaient, d’ouvrir leur horizon, de leur permettre de s’exprimer différemment.

Le deuxième confinement n’a pas cassé cette dynamique mais a nécessité une réorganisation des équipes. Cinquante étudiants sont en présentiels et cinquante en distanciel avec des exercices différents pour les uns et les autres, en sachant que les étudiants sont divisés par groupes de dix.

Les étudiants, qui étaient dans les locaux de l’Ina, ont ainsi fabriqué une Web TV leur permettant de se confronter à la mise en place d’un plateau, au travail de cadrage, de prise de son… Ils ont ainsi interviewé des collaborateurs de l’Ina.

Ceux distants ont continué les cours généraux et pouvaient aussi juger le travail des autres étudiants. Toute cette préparation leur a permis de produire un travail plus ambitieux sous forme d’un magazine TV. Quatre émissions de vingt minutes ont ainsi été produites fin décembre.

Les élèves, depuis le mois de janvier, ont des cours théoriques renforcés marqués par l’arrivée de l’anglais comme nouvelle matière. En février, ils devront réaliser une mini Web série et il sera proposé aux élèves soit de suivre un DAEU (Diplôme d’accès aux études universitaires) en partenariat avec Paris-Sorbonne (notamment pour les élèves qui n’ont pas le bac), les autres élèves se dirigeant vers une insertion professionnelle.

Autre étape importante fin avril, le comité d’orientation se réunira avec les étudiants pour déterminer les étapes suivantes. Il ne s’agit pas de leur donner de faux espoirs mais de leur proposer une spécialisation dans un domaine d’activité (Certificat de Compétence Métier). Cette spécialisation aura lieu de mai à juillet et se poursuivra par un stage en entreprise jusqu’à fin septembre. Aux vues de ce qui a été déjà entrepris par les étudiants, 50 % d’entre eux souhaiteraient poursuivre des études et le reste voudrait pouvoir s’insérer dans la vie professionnelle.

Les élèves ont cette chance incroyable de pouvoir bénéficier des compétences des enseignants de l’Ina et de matériels à la pointe de la technologie. L’équipe permanente de cette Classe Alpha se compose de six référents, entre autres de David Khalifat, directeur pédagogique de la Classe Alpha, et d’une dizaine d’intervenants selon les matières. Jusqu’à présent les retours sont très positifs, les étudiants ne veulent pas partir le soir après leurs cours et les professeurs ont face à eux des jeunes motivés.

Article paru pour la première fois dans Moovee #6, p.60/63. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.