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Guide de survie à l’usage de l’animateur du futur

DOSSIER

Publié le 22/03/20

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Le cursus de Gobelins se clôt par un film de fin d’études dont la conception s’étale sur un an. L’occasion de commencer à travailler en équipe pour réaliser un court métrage compris entre 2 et 5 minutes. © Gobelins

La formation aux métiers de l’animation en France est reconnue internationalement pour son excellence. Toutes écoles confondues, ce sont plusieurs centaines de jeunes diplômés qui sortent chaque année de la filière pour intégrer des studios français, européens et internationaux. Loin d’être un catalogue des formations, ce dossier a vocation d’éclairer sur les enjeux de formation et leur corollaire : l’emploi. Bref, un kit de survie à l’usage de l’animateur de demain !

« Et, c’est un vrai métier de dessiner des Mickey ? » Combien de lycéens, étudiants voire jeunes professionnels ont entendu cette question ambiguë lors d’un repas entre copains, amis ou parents ? La réponse est désormais claire : oui. Oui, l’animation est un secteur économique à part entière où les filières de formation françaises sont citées en exemple dans le monde entier, où les studios français n’ont plus rien (ou si peu) à envier à leurs homologues nord-américains.

La franchise Moi, moche et méchant ? Made in France et près d’un milliard de recettes pour le second volet. Astérix et le secret de la potion magique ? Plus de quatre millions d’entrées en quatre mois, réalisé au sein du studio Mikros. Ces deux exemples ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les studios recrutent à tour de bras et le terme, parfois honteux, de « plein emploi » est même avancé. Alors, oui, travailler dans l’animation est un vrai métier. Et comme tout métier, il convient de bien se former. Ça tombe bien, les formations sont nombreuses et de très haute qualité. Qui le dit ? Les départements ressources humaines des studios… du monde entier !

 

L’animation : un secteur économique à part entière

Le Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) publie chaque année les chiffres clés de l’animation, véritable instantané du secteur économique. Sur l’année 2017, dernière étude en date, il est précisé que 353 heures d’animation audiovisuelle (donc hors salle de cinéma) ont été produites, ce qui souligne le dynamisme du secteur. Même constat du côté des longs-métrages d’animation français : dix films produits en 2016, cinq en 2017 et au moins sept sur 2018.

Un autre point qui joue en faveur de l’emploi dans le secteur est la relocalisation des productions. Il y a encore quelques années, les studios préféraient produire les œuvres d’animation dans des pays à la main d’œuvre moins coûteuse, comme l’Inde ou la Chine. Mais la mise en place d’incitatifs financiers – dont le crédit d’impôt – a permis d’inverser la tendance. Ainsi, en deux ans, il y a eu « deux fois plus de dépenses en France dans le secteur de l’animation » (162 M€ versus 344 M€). En lien avec cette dynamique de relocalisation, le CNC pointe un secteur en forte création d’emploi : on comptabilisait 6200 emplois en 2016, dont plus de 700 nouveaux rien que sur l’année 2016 !

 

Un secteur qui recrute, des emplois de plus en plus pérennes

La multiplication des longs-métrages incluant des effets visuels (CGI), tels ceux issus de l’écurie Disney/Marvel et la forte demande internationale de programmes d’animation pour les télévisions et les nouvelles plates-formes numériques, engendrent un fort recrutement dans le secteur, tant en France qu’à l’étranger. Selon l’étude annuelle menée par le groupe Audiens, présentée dans le cadre des Rencontres Animation Formation d’Angoulême en novembre, le secteur est en forte croissance avec +22  % de masse salariale (171 M€ déclarés), soit près de quatre fois plus qu’il y a 14 ans.

Quelque 7 200 personnes (une personne pouvant être déclarée plusieurs fois sur l’année) ont été déclarées en 2017 auprès de cet organisme de protection sociale professionnelle. La dimension cyclique d’une production (télévision ou cinéma) induit un statut particulier dans l’animation, celui de l’emploi en CDD d’usage ; ce type de contrat représente 79  % de la masse salariale globale. Le CCDU* est donc la norme (et le restera) mais on note depuis quelques années une augmentation du nombre de CDI, notamment sur des postes d’encadrement (64  % des emplois déclarés – source Audiens). Cela ne signifie pas pour autant qu’on y exclut les jeunes : en 2017, « 57  % ont moins de 40 ans alors qu’ils représentent 44  % de l’ensemble de la population active en France (source Insee 2016). Mathématiquement, les plus de 50 ans (18  %) sont bien moins représentés que dans l’ensemble de la population active en France (29  %). » Le secteur est plutôt jeune, avec un âge moyen de 34 ans… Bien que minoritaires, les femmes tendent à s’y imposer, notamment sur les postes permanents.

 

Des écoles, des studios : la carte et le territoire

Il est intéressant enfin de voir l’émergence de plusieurs bassins régionaux hors de l’Ile-de-France qui reste la région où l’emploi est le plus important – pour des raisons historiques. Ainsi, les départements de Charente, du Nord ou encore de la Drôme sont de vrais territoires disposant d’une offre attractive grâce aux politiques incitatives d’implantation. À titre d’exemple, le Pôle Image Magelis à Angoulême fédère sur son seul territoire douze écoles et formations supérieures de l’image, une centaine d’entreprises dont quarante studios d’animation… et 1 200 étudiants. Cet environnement vertueux permet aux étudiants de se former sur un territoire qui offre, dans un second temps, une porte d’entrée vers l’emploi.

 

Se former aux métiers, pas aux outils

Si certaines des écoles ont une teinte technique très marquée, toutes néanmoins font de la pédagogie orientée métier l’ADN de leurs enseignements. L’évolution rapide des outils, la multiplication des plug-in, le fait que chaque studio dispose d’outils propriétaires, créés en interne, font que l’apprentissage est d’abord celui d’un métier. Pour Renaud Jungmann, fondateur de VFX Workshop à Paris, « il faut considérer les outils infographiques comme des crayons ». Même son de cloche de la part de Gilbert Kiner de ArtFX (Montpellier) : « Nous prenons des jeunes pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’ils ont comme savoir-faire ».

Mais alors, faut-il savoir forcément bien dessiner ? Pas forcément, rétorque-t-on au sein des écoles, mais une solide culture générale est bienvenue. « Il n’y a aucun prérequis technique dans nos critères de recrutement ; il faut cependant une vraie ouverture d’esprit qui ne doit pas se manifester la veille du concours », ironise Julien Deparis, cofondateur de la toute jeune École des Nouvelles Images (ENI) à Avignon.

À l’inverse, à Gobelins l’école de l’image, la pédagogie s’appuie en premier lieu sur les outils traditionnels comme le papier, le crayon et la table d’animation. « Si l’animation papier disparaît, il nous importe cependant de construire pour les étudiants ce socle de compétences tout en enseignant les outils numériques, 2D comme 3D », explique Moïra Marguin, responsable du département Cinéma d’Animation de l’école parisienne.

Et quand cette culture est défaillante, elle est partie intégrante de la pédagogie, à l’instar de l’Atelier, l’école de Thomas Debitus à Angoulême. « Nous avons une palette de longs-métrages, choisis par l’équipe pédagogique, que nous projetons aux élèves le mercredi après-midi. Pas forcément de l’animation – Elephant Man ou Freaks font partie de l’offre – mais des œuvres qui sont autant de supports pour nos cours, pour des questions de mise en scène, cadrage, éclairage… ».

 

2D, 3D, généraliste, spécialiste, j’hésite encore…

Si l’animation 2D a connu un « coup de mou » dans les années 2000, celle-ci reprend des couleurs depuis quelques années. Les studios français et européens misent de nouveau sur cette technique, ce qui, par conséquent, génère de l’emploi… et des besoins de formation. « Pendant des années, j’ai été raillé parce que je ne formais qu’à la 2D », se rappelle Thomas Debitus. « Mais aujourd’hui, c’est une vraie tendance ». ArtFX, spécialisée dans les effets visuels et l’animation 3D, ouvre d’ailleurs une formation 2D et stop-motion à la rentrée 2019. L’ENI propose également des cours d’animation en papier découpé à ses élèves… à côté des techniques de simulation de fluides par exemple.

Cependant, les demandes les plus fortes de la part des studios se concentrent sur l’image de synthèse en 3D. C’est pourquoi la grande majorité des écoles de cinéma d’animation ont une première année d’enseignement à large spectre pour mieux appréhender la grande diversité des métiers… puis des années de spécialisation. Alors, généraliste ou spécialiste ? La réponse, ô combien paradoxale, idéale est : les deux. En effet, tant les studios que les écoles font tous le même constat. Le profil idéal est celui qui a une connaissance sur tout et sait approfondir son sujet. La réalité est bien plus contrastée.

 

Les métiers en forte demande

Diffusée en juin 2018, une étude menée par l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel a identifié « les besoins en compétence et en formation des studios d’animation ». Il ressort de ses conclusions que le secteur est dynamique, mais marqué par des « tensions au recrutement », certains métiers ayant une forte demande de la part des studios, en inadéquation avec l’offre. Comme le montre notre graphique, ce sont les métiers d’animateur 2D et 3D ainsi que les profils dits « lead », soit des postes d’encadrement, qui sont le plus demandés. Les profils de storyboarder sont également très recherchés car peu de jeunes diplômés se lancent dans cette voie et il n’existe pas de formation spécifique ; cela entraîne de facto une raréfaction des compétences, les studios faisant tout pour conserver ces précieux artistes.

Les profils techniques et d’encadrement sont également de plus en plus sollicités par les studios. En cause, l’accroissement du volume des équipes (près de 1 000 personnes pour Illumination) et l’augmentation de la complexité des pipelines de production. La gestion des équipes et la gestion des datas deviennent donc, et cela ne fait que croître, des enjeux majeurs pour demeurer compétitifs.

 

Pipeline, Previz, VR, mocap, demain tous technos ?

En réponse aux demandes des studios d’animation, de nombreuses écoles de cinéma d’animation font évoluer leurs pédagogies en intégrant aux cursus « classiques » des modules spécifiques et innovants. C’est le cas de VFX Workshop qui a inauguré en mai 2018 un plateau de capture de mouvements (mocap) dans ses locaux : « L’objectif est d’aborder toute la phase préparatoire d’un tournage, avec l’utilisation d’une caméra virtuelle », explique Renaud Jungmann.

ArtFX, pour sa part, a monté une formation de TD. Derrière cet acronyme (pour Technical Director), se cache une grande diversité de définitions, preuve que le profil recherché est, par essence, très pluridisciplinaire. Pour la CPNEF Audiovisuel, « le TD ou infographiste développeur cumule des compétences informatiques, notamment de codage, et d’animation. Attaché aux équipes projet, il fait le lien avec les équipes de recherche et développement (R&D). »

À ATI Paris 8, la notion de TD, on connaît : « Un étudiant qui a peur de la technique ne doit pas venir chez nous, car il s’y sentira mal à l’aise », prévient d’emblée Cédric Plessiet. Ici, la centaine d’étudiants étudient l’image, mais aussi l’optique, la chimie, tout cela au service de l’image. « Nous formons des TD FX, TD Pipeline, Superviseurs TD ». L’une des particularités d’ATI est d’intégrer des travaux de recherche, en lien avec des laboratoires universitaires comme l’INREV.

 

Se former à l’open source : la quadrature du cercle

De plus en plus de studios d’animation se lancent dans l’intégration de logiciels open source (ou libres) dans leurs pipelines de production. Plus flexibles, gratuits, évoluant par l’émulation de la communauté, ces outils séduisent, même au sein de grosses structures, y compris pour des productions de séries, à l’instar de Normaal, Xilam, Tu nous Za pas vus, In Efecto, Superprod, etc. Malheureusement, les écoles hésitent encore à proposer dans leurs cursus une formation structurée autour de l’utilisation des logiciels de type Blender.

Comme le soulignaient les professionnels réunis en novembre aux Rencontres Animation Développement Innovation (RADI) d’Angoulême, « Le cercle vicieux n’a pas été brisé : des productions qui le souhaiteraient ne peuvent utiliser les outils open source faute de personnels formés, et les personnels hésitent à se former à des outils peu utilisés. » L’une des forces des logiciels open source est de s’appuyer sur une communauté d’utilisateurs qui partagent points de vue, codes, astuces pour faire progresser l’outil. Nul doute que ces logiciels et la philosophie qu’ils induisent feront partie des programmes des écoles dans un futur proche.

 

Formation en ligne : une voie tout sauf « low cost »

Souvent appréhendée comme de moins bonne qualité que la formation en présentiel, la formation en ligne est une excellente alternative pour de jeunes étudiants ayant besoin d’avoir une rémunération ou des professionnels qui, après une ou deux années de travail, souhaitent un approfondissement de leurs connaissances. Ainsi, les Gobelins à Paris ont lancé leur e-académie regroupant plusieurs MOOC en lien avec les enseignements de l’école.

Anima Podi est la première école gratuite en ligne ; son MOOC, intitulé « À la recherche du rebond parfait » bénéficie du soutien de Pathé et de Mercenaries Engineering, créateur du logiciel d’animation Rumba. Durant six semaines, ce MOOC propose de nombreuses vidéos qui font découvrir des points didactiques incontournables pour débuter en animation 3D, illustrés par des exemples concrets, mais aussi des QCM et des exercices : styles et principes d’animation, timing & spacing, arcs & stretch et squash. Une attestation de suivi avec succès est remise à l’issue de la formation – si vous avez obtenu au moins 55  % des points. Le principe du MOOC étant d’être ouvert à tous, la charge de travail a été envisagée comme légère : environ deux heures par semaine.

Créé en 2013, l’institut Artline est lui aussi une école 100  % en ligne : candidature, cours, exercices et réunions pédagogiques. « Nous avons actuellement 250 apprenants, un terme que je préfère à celui d’élèves, trop connoté pour une école qui n’est pas en présentiel comme la nôtre », explique Yohan Blanc, son cofondateur. La sélection, moins basée sur l’éventuel portfolio de l’étudiant que sur le projet d’études, est ouverte aux apprenants de niveau bac (diplôme non obligatoire). « Nous avons des profils dont les âges vont de 18 à 40 ans ». Le principe est simple : des petits groupes (12 maximum), une vidéo de cours hebdomadaire, des devoirs à réaliser et à rendre pour la semaine suivante. Durant cette semaine type, les étudiants ont deux rendez-vous obligatoires en visio-conférence ; toute la classe et l’équipe pédagogique y participent. Ne pensez pas que, sous prétexte que c’est en ligne, la formation est low cost : « Nous avons estimé la charge de travail à 25 heures environ. Il s’agit d’une moyenne et certains seront plus rapides, d’autres moins ». Le principal intérêt résidant dans cette flexibilité qui permet de cumuler travail et études.

Proposant Mastère et Bachelor, l’institut Artline s’appuie sur une pédagogie communautaire : outre les réunions, une plate-forme en ligne permet d’échanger avec les professeurs, entre élèves, mais aussi entre les niveaux d’étude. « Ce principe dit de reverse mentoring donne de très bons résultats car l’entraide vient d’apprenants qui sont en année supérieure et sont donc déjà passés par ces épreuves. » Comme l’explique Gilbert Kiner, « l’évolution technologique de l’animation est un retour aux sources : on oublie le logiciel et on revient à la créativité. » L’animation est un secteur en constante évolution, aux frontières de plus en plus poreuses avec le jeu vidéo, les technologies VR et le temps réel. Si « la technicité est un gage d’employabilité » selon Gilbert Kiner, elle n’est pas l’alpha et l’oméga d’une solide formation. « Il faut être curieux, avoir l’envie de créer », complète Thomas Debitus. « Notre but, à ATI, est de faire de la belle image, peu importe comment », poursuit Cédric Plessiet. L’excellence tant louée de la formation française tient peut-être dans ce que résume Julien Deparis : « La vérité est dans les croisements pédagogiques ».

 

LE CDDU, C’EST QUOI ?

CDDU pour Contrat à durée déterminée dit « d’usage ». Les artistes, ouvriers et techniciens du spectacle sont des salariés, qui alternent des périodes d’emploi et de non-emploi, au travers de contrats à durée déterminée liés à une fonction temporaire par nature. On parle d’intermittents dans le langage courant (cependant, ce n’est ni un statut ni un métier), par opposition aux salariés permanents des secteurs de l’audiovisuel en CDI et CDD.
Source : CPNEF Audiovisuel

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Moovee #1, p.28/33. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.