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Documentaires : No Narrator, No Interviews, No Problem !
MASTERCLASS
Publié le 17/02/21
Rédigé par Nathalie Klimberg
En juin dernier, Sunny Side of the Doc proposait, dans le cadre de son premier rendez-vous online, une master class avec le producteur réalisateur anglais Tom Jennings.
Ce spécialiste du documentaire pour la télévision et le cinéma, totalise non moins de 400 heures de programmes à son actif. Collectionnant les succès d’audience, il nous fait profiter de son expérience au travers de quelques conseils avisés…
Utilisez le moins de texte possible…
Si je devais donner un premier conseil, explique Tom Jennings en ouverture de l’entretien, ce serait celui d’utiliser le moins de texte possible… Souvent, lorsque l’on opte pour une narration sans voix off et sans témoignages, la progression du récit semble difficile. À la fin des documentaires, on retrouve alors souvent un résumé de ce qui est arrivé aux différents protagonistes.
J’ai produit près d’une trentaine de films pour différentes chaînes, sans voix off et sans entretiens filmés. Ce que je vais dire semble évident, mais nous nous sommes aperçus que plus il y a de texte, plus le spectateur est frustré car en regardant un documentaire, il opte pour une expérience audiovisuelle.
S’ils sont agiles, les archivistes, monteurs et réalisateurs peuvent en général trouver suffisamment de matière vidéo, photographique ou audio pour que l’histoire se suffise à elle-même. En respectant cette règle, qui consiste à construire la narration uniquement à partir d’archives, on obtient généralement un résultat qui captive beaucoup plus l’audience car l’expérience devient plus fluide, plus naturelle, souligne le producteur.
« Soyez fidèle aux mondes que vous créez »
À l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de la princesse Diana, Tom Jennings a réalisé pour National Geographic un film intitulé Diana, une icône mystérieuse…
National Geographic, qui envisageait une série de films sur la princesse, nous a demandé quelque chose d’original. Nous avons alors contacté l’écrivain britannique Andrew Morton, auteur du best seller publié en 1992 Diana : sa vraie histoire. À l’époque, personne ne savait que la source des anecdotes racontées dans le livre venait de Diana elle-même : elle avait, en effet, enregistré des cassettes de témoignages sur lesquelles Andrew Morton s’était s’appuyé pour écrire son livre.
Quand je l’ai appelé pour demander si nous pourrions utiliser les enregistrements dans notre documentaire, il m’a répondu : « vous devez bien être le 2 000e réalisateur de documentaires qui me demande cela… ! » Mais je lui ai expliqué que dans notre film il n’y aura ni voix off ni entretiens avec des personnes contemporaines, nous voulions que Diana raconte son histoire elle-même.
Après un long silence au bout du fil, il a concédé que j’étais le premier à avoir cette idée et, après une rencontre de visu, a accepté. Pour un documentaire basé sur des archives audio, l’important est de trouver les images – photos ou vidéos – qui collent au mieux à ce que le spectateur entend.
Dans le cas de ce film, les enregistrements audio étaient importants, car ils nous ont permis de souligner le clivage entre l’image publique de Diana et l’enfer qu’elle vivait dans sa vie intime. Nous avons donc utilisé la piste audio d’un programme d’actualité dans lequel le journaliste explique à quel point Diana est une femme merveilleuse apparaissant en public pour la première fois avec son époux le prince Charles, et les enregistrements privés dans lesquels la princesse racontait son angoisse liée à l’évènement et sa dispute avec Charles concernant la tenue qu’elle portait ce soir-là.
En adoptant ce parti pris narratif, c’est comme si Diana s’était assise dans un studio vingt ans plus tard pour commenter elle-même les images de notre documentaire.
Dés que vous le pouvez, calquez le modèle du monomythe, ou le voyage du héros, sur vos personnages principaux…
Le monomythe est bien sûr très utilisé dans le cinéma, tout comme dans la littérature d’ailleurs ; il a été rendu célèbre par le philosophe américain Joseph Campbell, et on le retrouve, par exemple, dans les premiers films Star Wars. Il s’agit d’un moyen de suivre un personnage dont la vie est initialement ordinaire, mais qui doit ensuite faire face à un défi qu’il ne se serait jamais cru capable de surmonter… Avant de rentrer enfin chez lui !
Les chaînes se demandent souvent comment il est possible de raconter une histoire documentaire à partir d’images d’archives. Dans le cas de nos films sur l’espace – dont celui de la catastrophe de la navette Challenger –, nous avons cherché à utiliser des archives issues de sources locales, et non des programmes diffusés sur les grandes chaînes nationales.
Pour parler de la professeure Christa McAuliffe, qui a péri dans l’explosion de la navette en 1986, la plupart des autres réalisateurs de documentaires s’appuyaient sur les images de la Nasa ou des grandes chaînes, mais nous nous sommes demandé : « où pourrions-nous trouver des archives intéressantes ? »
Christa McAuliffe était originaire du New Hampshire, et nous avons décidé d’aller voir du côté des archives de la radio, qui sont souvent délaissées par les documentaristes. Pourtant, les journalistes à la radio parlent souvent de manière plus expressive, étant donné que l’auditeur n’a pas d’images. En associant des archives radio à des archives visuelles, nous parvenons à produire un résultat très vivant.
Le directeur des programmes d’information d’une station de radio du New Hampshire, un certain Jerry Little, avait suivi Christa McAuliffe pendant un an, recueillant ses témoignages sur l’entraînement qu’elle suivait en vue de son vol dans l’espace ; il était même présent en Floride le jour du lancement de la navette. En écoutant ses enregistrements, on apprend à la connaître en tant que personnage à part entière de l’histoire, et l’on peut suivre ses hauts et ses bas, ponctués par la tragédie qui frappe la navette à la fin de l’histoire.
Quand nous avons appelé cette station de radio pour demander s’ils avaient conservé des archives de l’époque de Challenger, ils ont été stupéfaits : cela faisait trente ans qu’ils gardaient les enregistrements, et personne n’était venu les voir pour en parler !
Et donc, à partir de cette année d’archives recueillies par Jerry Little, nous avons pu développer un personnage. C’est la même approche que nous avons suivie pour notre film sur la mission Apollo : le groupe des astronautes était comme un personnage à part entière ; leur famille en était un autre, et nous avons raconté l’évolution de ces personnages de la même manière que l’auraient fait un scénariste et un réalisateur pour un film de fiction.
Même les navettes étaient des personnages dans l’histoire, et elles traversaient également des changements, passant par exemple du premier programme spatial Mercury pour aboutir au lancement des navettes modernes. Le public américain était, lui aussi, un personnage qui se demandait parfois si l’argent du programme spatial n’aurait pas pu être mieux utilisé…
Nous cherchons donc à assembler les histoires de ces différents personnages à partir des contenus dont nous disposons, le but étant de donner l’impression d’un ensemble cohérent et naturel. Ce n’est pas une question de trouver de bonnes images et de bons extraits audio puis de les présenter en vrac : il y a un énorme travail de réflexion sur la meilleure manière de raconter une histoire engageante. Pour résumer, à partir des archives nous identifions des personnages, grâce auxquels nous créons une trame narrative…
La radio, une matière vraiment intéressante…
Nous utilisons des sources radiophoniques très régulièrement. Dans notre film Challenger Disaster : Lost Tapes, nous avons aussi retrouvé des enregistrements radio inédits depuis leur premier et unique passage à l’antenne. Pour ce documentaire, la Nasa nous a confié une boîte de quarante cassettes datant de l’époque de Challenger, et c’était incroyable mais un seul documentariste avait pioché dans ces ressources. Quand j’ai demandé la raison à la Nasa, ils ont dit : « Aucune idée ! Nous les avons depuis toujours, mais peut-être que personne n’a eu la patience de les écouter jusqu’au bout »… Mais nous, nous sommes plus rigoureux et nous avons tout écouté !
Les personnages principaux de ce documentaire sont Christa McAuliffe, Jerry Little et CNN, qui n’était à l’époque qu’une toute jeune chaîne. CNN avait d’ailleurs filmé sa propre équipe de journalistes au travail, ce qui nous a donné une précieuse matière concernant les coulisses de leur fonctionnement : le spectateur a donc l’impression d’être plongé dans l’action, et non de regarder quelqu’un parler à la télévision.
Il est important, lorsqu’on utilise des photos, de ne pas en choisir une qui soit trop connue…
Vous pouvez également susciter des émotions très intenses avec des photos mais dans la mesure où beaucoup d’histoires que les chaînes nous demandent concernent des évènements que le public connaît bien, il faut y jeter un regard neuf… Ce qui est improbable avec des images qui ont fait le tour du monde.
Un photographe peut prendre des centaines de photos en une journée. Il les présente généralement à ses clients sous la forme de planches contact ; nous utilisons souvent ces planches comme éléments visuels de nos documentaires. Les journaux et magazines entourent souvent une photo sur la planche contact, pour dire : « on va publier celle-là ». Nous, nous choisissons les autres photos prises la même journée, celles qui n’ont pas été sélectionnées : cela nous permet de montrer au spectateur un point de vue légèrement différent du même évènement, en créant une impression à la fois de familiarité et de nouveauté.
Notre documentaire sur Martin Luther King, MLK : The Assassination Tapes, récompensé d’un prix Peabody, illustre cette approche… Le lendemain de l’assassinat à Memphis, le corps de Martin Luther King a été exposé dans un petit salon funéraire avant les grandes obsèques officielles à Atlanta. Les chaînes nationales n’en ont pas parlé, et j’ignorais jusqu’à l’existence de cette première cérémonie très émouvante, avant nos recherches locales. Les images que nous avons retrouvées ont été suffisantes pour raconter l’histoire et nous n’aurions jamais pu trouver d’enregistrements audio aussi marquants !
Biopic
Tom Jennings commence sa carrière comme journaliste dans la presse écrite – auprès notamment du New York Times et du Los Angeles Times. Après avoir couvert le procès très médiatisé d’O. J. Simpson en 1995, il se lance dans l’écriture de programmes documentaires pour Discovery Networks.
En 2004, il commence à développer ses propres émissions et films documentaires avec sa société Tom Jennings Productions. Il a notamment remporté un prix Pulitzer pour son travail de journalisme d’investigation et plusieurs Emmy Awards.
En 2013, avec sa nouvelle société, 1895 Films, il remporte le prestigieux prix Peabody pour un documentaire sur l’assassinat de Martin Luther King.
Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.51/53. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.