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Captation multicaméra low cost mais chic

RETOUR D'EXPÉRIENCE

Publié le 29/04/20

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Ça fait un moment que je me dis qu’il serait grand temps de partager un peu mon expérience de réalisation de captation de concerts.

Ce concert a été sans doute l’expérience qui m’a donné envie de continuer à explorer cette voie et à peaufiner ma méthode. © DR

J’ai commencé ma carrière dans ce domaine en 1993 et j’ai eu la chance de réaliser des captations de concerts de groupes aussi légendaires qu’éclectiques. De Slayer à BB King ou du Requiem de Mozart version baroque à Herbie Hancock, j’ai réalisé plus d’une centaine de concerts et d’autres types de spectacles. Pour capter de tels événements, les producteurs avec lesquels je travaillais m’ont toujours mis à disposition des moyens techniques confortables. La plupart du temps j’ai eu la chance de pouvoir utiliser la puissance des plus beaux cars régies disponibles en Europe. Seulement voilà, aujourd’hui il y a de plus en plus de groupes qui veulent montrer la qualité de leurs prestations scéniques et qui n’ont pas forcément les moyens de louer des cars régies.

 

Ma passion pour les petites caméras hybrides, les fameux « photocam » comme j’aime à les appeler, m’a incité très tôt à les utiliser dans des captations, leur petite taille en faisait un outil idéal pour aller placer un cadreur dans un endroit peu accessible ou même au milieu du public sans trop gêner la visibilité du concert. Dès qu’on doit placer une caméra dans le public quand on fait de la captation, c’est toujours des négociations et des compromis compliqués à faire avec l’organisation du concert qui ne veut pas perdre la moindre place pour sa billetterie et ne pas gêner le confort du spectateur qui a payé sa place. Souvent le positionnement de ces caméras n’est jamais optimal et, comme j’aime à le répéter, une des clés principales de la réussite d’une bonne captation c’est le choix des axes, le fameux positionnement de ses caméras.

 

L’arrivée de ces appareils photos qui filment dans une qualité assez incroyable – en 2008 avec le Canon 5D MkII – a ouvert une infinité de propositions pour placer des caméras là où on n’aurait pas osé le faire avant avec les grosses caméras de plateau. C’est en 2011 que j’ai commencé à réaliser des captations de concert mélangeant des Panasonic GH avec des caméras de plateau et le résultat était plutôt très encourageant. Je me souviens de ce concert de Ralph Hartman, qui était à ce moment-là candidat à The Voice. Nous étions dans un tout petit club et j’avais envie d’avoir une multitude de caméras et aller chercher des points de vue insolites, mais nous n’avions pas le budget pour tout faire avec des caméras classiques reliées à la régie mobile déployée pour ce concert. J’ai donc proposé de rajouter quatre petits GH en plus des quatre caméras reliées.

 

Une de ces caméras était au deuxième rang dans la fosse, j’avais chargé le cadreur de me faire des images du chanteur d’assez prêt avec des amorces du public, une épaule, une tête, un bras levé, des mains qui applaudissent en premier plan flou, dans l’ombre et le chanteur en arrière-plan net et dans la lumière. Ce concert a été sans doute l’expérience qui m’a donné envie de continuer à explorer cette voie et à peaufiner ma méthode. L’autre intérêt de ces photocam est aussi dans le fait de l’utilisation d’un grand capteur, ce qui permet d’avoir une meilleure sensibilité en basse lumière et de pouvoir travailler en profondeur de champ plus faible et obtenir ainsi un rendu plus cinématographique.

 

La demande étant croissante depuis quelques années de pouvoir capter des concerts et autres spectacles dans des économies plus restreintes, je me suis mis à réfléchir à des solutions pour créer des dispositifs techniques afin de rendre ce genre de projets viable. Il y a deux possibilités, soit passer par un système de régie mobile qui permet de réaliser dans les conditions du direct, soit passer uniquement par des caméras qui enregistrent de manière indépendante et de monter ensuite les différents flux en postproduction. J’ai tendance à privilégier la première solution car j’aime l’énergie et la magie qui se passe dans ces moments-là quand je pilote mes cadreurs et que je crée sur la musique en temps réel, même si je finalise toujours en remontant un peu ce que j’ai fait en direct. Ça nécessite forcément plus de moyens et donc plus de budget.

 

J’ai commencé par faire un état des lieux des besoins fondamentaux nécessaires à la production d’une captation réussie. Au-delà des caméras, il faut bien entendu un mélangeur, un réseau d’ordres suffisamment puissant avec des casques fermés sur une oreille, un monitoring de qualité, un mélangeur vidéo et plusieurs enregistreurs afin de pouvoir avoir plusieurs flux à monter.

 

J’insiste sur le réseau d’ordres car, à moins de faire des captations de musique de chambre très intimistes, il n’y a rien de pire qu’un cadreur qui n’entend pas les ordres à cause d’intercoms inadaptés dans un concert de rock ; or, la plupart des systèmes d’intercommunication sont conçus pour des environnements de studio TV qui sont relativement silencieux !

 

Blackmagic Design, depuis qu’ils ont racheté la société Atem, proposent des solutions à des prix qui étaient encore totalement inimaginables il y a cinq ans. Mélangeurs, monitorings, enregistreurs, mais aussi caméras, sans oublier les fameux intercoms ! La solution Full Blackmagic est de plus en plus pertinente et je commence à voir des cars régies entièrement conçus avec ces équipements. Certains loueurs ont aussi senti la tendance et proposent dorénavant ce genre de régie en flight case à la location.

 

Blackmagic n’est pas le seul acteur de ces systèmes multicaméras low cost, Panasonic propose aussi des solutions autour de mélangeurs pertinents et à des tarifs très attractifs, Sony aussi et il ne faut pas oublier le précurseur dans ce domaine qu’est le fameux système Tricaster de la société Newtek. Le Tricaster est né en 2005, le concept est simple, c’est ni plus ni moins qu’un mélangeur dans un PC. Newtek est une société que je connais depuis le Comodore Amiga, ils faisaient des systèmes de digitalisation d’image à la fin des années 80 et leur Tricaster est devenu une référence. L’un des gros avantages dans ces nouveaux outils c’est qu’ils intègrent des fonctionnalités qui simplifient le monitoring vidéo ; il n’est plus indispensable de se procurer un moniteur par source plus un pour le preview et un pour le master. Que ce soit les mélangeurs Atem de chez Blackmagic ou les autres solutions que j’ai citées, il suffit de brancher un ou deux moniteurs informatiques 24 pour avoir des mosaïques, ce qui permet d’avoir des temps de déploiement de ces régies beaucoup plus rapides.

 

La seule chose aujourd’hui sur laquelle on ne peut pas faire d’économie c’est sur la partie objectifs, aucun des fabricants n’a encore décidé de faire des solutions abordables et ça reste le poste de dépense le plus important pour tout projet de création de moyens de production vidéo mobile. Le marché de l’occasion est du reste en pleine explosion et certaines optiques un peu usées, dont personne ne voulait, voient leur cote grimper en flèche. Fujinon comme Canon, qui sont les deux seuls à produire des objectifs pour les caméras 2/3 de pouce que l’on retrouve sur les plateaux TV, n’ont pas jugé opportun de produire des objectifs pour ces nouveaux marchés. On peut trouver des caméras chez Blackmagic à 3 200 € Ultra HD en monture B4 ; c’est délicat de trouver des zooms à ce prix-là chez les fabricants d’optiques, le ticket d’entrée se situe plutôt aux alentours de 8 000 €.

 

Une solution intéressante que j’ai pu tester pour faire des live jusqu’à quatre caméras, c’est le MCX500 de chez Sony, mélangeur qui permet de switcher quatre sources et de faire du streaming sur toutes les plates-formes dans un boîtier compact qui loge dans un sac à dos. Certes ce n’est pas l’outil idéal pour faire un concert à 24 caméras au Stade de France, mais c’est très pratique et très bien pensé pour des utilisations simples.

 

Parmi les outils qui ont attiré mon attention, j’ai découvert au NAB un constructeur pour qui j’ai eu un vrai coup de cœur pour les solutions proposées par la société allemande Tentacle Sync. En effet, si la plupart des logiciels de postproduction moderne proposent des systèmes qui permettent de faciliter la synchronisation des flux vidéo par l’analyse des pistes audio, cela reste assez fastidieux, car sur un concert, comme sur tout autre spectacle ou évènement, la vitesse de propagation du son peut jouer des tours selon la distance des caméras. La synchronisation des sources audio et vidéo est un élément crucial pour pouvoir gagner du temps dans la préparation du montage.

 

Le système Tentacle Sync est assez génial, il consiste à brancher un petit boîtier équipé d’une horloge à quartz sur l’entrée micro de toute caméra ou équipement ayant un enregistrement audio ; ça fonctionne donc aussi pour synchroniser un enregistreur audio multipiste. La deuxième piste audio est toujours disponible pour enregistrer du son. Le tout est piloté par un smartphone en bluetooth qui va permettre d’injecter le même time code source à toutes les caméras ; on utilise ensuite autant de boîtiers qu’on a de caméras et d’enregistreurs son et au moment de la postproduction on passe par un logiciel qui va lire le time code couché sur la piste son, synchroniser les différentes sources et générer un fichier XML compatible avec la plupart des logiciels de montage. C’est simple, malin plutôt accessible et super efficace !

 

Pour la partie enregistrement audio, il y a aussi des matériels qui se démocratisent, tel le petit enregistreur F8 de chez Zoom, qui permet d’enregistrer huit pistes audio dans une qualité très correcte pour une somme inférieure à 1 000 €. L’enregistrement multipostes et le mixage audio sont à mon avis une partie importante de la réussite et de la qualité perçue lors de la diffusion d’une captation. Des micros de qualité ainsi qu’un positionnement judicieux sont nécessaire pour obtenir un résultat final convaincant. Je suis moins expert en la matière, mais c’est un poste qui ne faut pas négliger.

 

Voilà pour la partie équipement de la production ; cette liste est, bien entendu, non exhaustive. J’ai réalisé une captation il y a quelque temps pour une artiste que j’apprécie beaucoup et qui, à mon avis, mérite toute l’attention. Il s’agit de Marina Oboussier, une chanteuse super talentueuse qui, après des années à jouer dans différentes formations, se décide à sortir son premier album en solo à 58 ans. Lors de son concert, j’ai mis en place un dispositif de captation assez conséquent avec six caméras pour deux opérateurs et un ingénieur du son. Le son était repris en direct en multipistes depuis chaque instrument sur scène via un système ProTools.

 

Côté caméra, j’ai fait ce qu’il ne fallait pas faire car j’ai utilisé différentes marques et différents types de caméras :

  • 1 x DJI Osmo sur le batteur, que je pouvais piloter à distance via mon iPhone.
  • 2 x Lumix GH5 et GH5s, un en porté par le deuxième opérateur avec un zoom lumineux et un en fixe sur le bassiste qui jouait assis, avec une focale fixe.
  • 1 x Sony Alpha7R2 en plan large.
  • 1 Fujifilm XT2 en porté que je cadrais moi-même.
  • 1 x Blackmagic Pocket Cinema 4K en serré sur la chanteuse, fixé sur pieds avec une longue focale peu lumineuse que j’ai pu compenser par la très bonne sensibilité de cette caméra. La chanteuse étant elle aussi assise sur un tabouret avec sa guitare, ça a été plutôt simple.
  • Les petits boîtiers Tentacle Sync pour la synchro sur les caméras et sur le multipiste.

 

Le gros piège c’est que le Sony A7R2 coupait toutes les 30 minutes et le XT2 s’est mis en surchauffe plusieurs fois ; heureusement le système de Synchro Tentacle Sync m’a permis de ne pas trop subir ces inconvénients lors de la préparation du projet multicaméra puisque le time-code était commun à chacune de mes caméras.

 

Pour la partie postproduction, ça a été un peu plus compliqué, non pas pour la partie montage mais plutôt pour l’étalonnage, en sachant que je partais avec six caméras ayant des signatures d’image différentes j’ai dû y passer beaucoup de temps, mais le résultat m’a apporté beaucoup de satisfaction, surtout compte tenu du budget super limité que nous avions à notre disposition pour produire cette captation de concert. Pour réduire l’aspect pénible de cette partie étalonnage, j’ai fait pas mal de tests en amont pour trouver les profils colorimétriques qui pouvaient permettre de faire raccorder les différentes caméras, j’ai fait une balance des blancs précise et essayé de faire ajuster la lumière à mes contraintes et ça a plutôt bien fonctionné.

 

Pour le montage, et en particulier pour le Multicam, je préfère utiliser Final Cut Pro X qui a, je trouve, le module Multicam le plus simple, le plus intuitif et le plus efficace parmi tout ce que j’ai pu tester sur le marché aujourd’hui. Contrairement à pas mal de ses concurrents il accepte de mélanger plusieurs codecs et même plusieurs résolutions sans sourciller. Après l’ingest, je laisse au logiciel le soin de me créer des fichiers Proxy en ProRes 422 LT, ce qui me permet d’avoir une vraie souplesse et une grande fluidité, même sans avoir un stockage ultra performant (un bon SSD est quand même recommandé). Une fois la synchronisation effectuée, je peux me plonger dans mon montage avec l’aide d’une interface que je trouve très efficace ; j’ai une prévisualisation temps réel sur toutes mes sources synchronisées, c’est un régal de simplicité à utiliser.

 

Pour conclure, je ne pense pas qu’il y ait de recette magique, mais il est clair qu’en y passant un peu de temps avec la démocratisation des outils de production aujourd’hui à notre disposition, ce genre de projet, dans des économies assez réduites, est tout à fait réalisable.

Ce n’est peut-être pas extraordinaire en termes d’efficacité et ça ne remplacera jamais le confort apporté par les vrais moyens de production vidéo mobile que l’on peut trouver dans un car régie qui a été pensé pour ça, mais c’est une solution envisageable qui permet d’obtenir un résultat satisfaisant pour peu qu’on en ait le temps. C’est là toutes les limites du « low-cost » ; si la démocratisation des outils de production permet de faire des économies sur la partie équipement, c’est forcément au détriment du temps que l’on va y passer.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.30/34. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.