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Calamity Jane à la conquête des frontières et des écrans
ENTRETIEN
Publié le 16/03/21
Rédigé par Nathalie Klimberg
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary a été récompensé par le prestigieux Prix Cristal d’or du long-métrage au Festival d’Annecy en juin dernier. Lors de la Satis TV, nous avons reçu son réalisateur, Rémi Chayé, qui décrypte les étapes de fabrication du film.
Moovee : Les images de Calamity ont un parti pris graphique très identifiable. Existe-t-il un style Rémi Chayé ?
Rémi Chayé : C’est surtout le travail d’une équipe ! C’est quelque chose que nous avons commencé à travailler avec Tout en haut du monde, mon premier film. Une bonne partie de l’équipe artistique s’est retrouvée sur Calamity. Nous travaillons avec quatre-vingt-dix dessinateurs ou animateurs. C’est beaucoup d’artistes, certains d’entre eux ont une place forte, notamment Patrice Suau qui était le directeur des couleurs de Tout en haut du monde et de Calamity. C’est en tout cas plus le style de toute une équipe que le mien.
Vous êtes réalisateur sur ce film mais aussi auteur graphique ?
Je suis auteur graphique sur Tout en haut du monde et co-auteur graphique sur Calamity. À l’origine, pendant les deux années où nous avons travaillé le scénario, j’ai fait des images pour agrémenter les dossiers de recherches de financements et pour commencer à travailler sur l’environnement, sur l’univers. De fait, ces illustrations-là servent à définir le style graphique.
C’est votre second film, Tout en haut du monde date de 2015. Qu’avez-vous fait entre vos deux films et quels sont les enseignements que votre premier film a pu vous apporter et que vous avez pu mettre à profit ?
L’animation prend du temps ! Nous avons mis onze ans à faire naître le premier film. J’avais travaillé sur pleins d’autres choses entre temps mais c’est un projet que nous avons poussé avec l’auteur du scénario original, Claire Paoletti.
Grâce à la « notoriété » de Tout en haut du monde, nous avons pu monter Calamity de manière un peu plus rapide. Il y a tout de même deux ans d’écriture, un an d’animatique, sorte de brouillon de film que l’on fait en animation et où nous montons le story-board avec des musiques maquettes. Seulement une fois ce brouillon fait, nous pouvons fabriquer ensuite le film.
Nous pensons toujours que nous allons faire mieux à chaque nouveau film et puis il y a toujours une chose à laquelle nous n’avons pas pensé et c’est le bordel quand même ! Il y a toujours des situations qui nous échappent… J’ai un ami qui dit : « Pas de bordel, pas de film » ! C’est assez judicieux !
Nous travaillons avec 2 Minutes, le studio d’animation qui nous accueille. Ils ont un directeur technique, Jérôme Fromeaux, qui a travaillé avec une personne de notre équipe, Clément Gendron, afin de mettre au point des outils pour nous permettre de faire des films dans les budgets.
Ce sont des projets européens, donc avec des budgets européens qui sont de l’ordre de 6,4 millions d’euros pour Tout en haut du monde et 8,3 millions d’euros pour Calamity. Ces budgets sont relativement serrés lorsqu’il s’agit de faire des dessins animés. Pour donner un ordre d’idées, les films américains sont faits avec des budgets de 150 à 300 millions de dollars.
Tout est fait en France ou en Europe ?
Tout est fait en Europe. Nous travaillons avec le Danemark qui n’est pas réputé pour ses bas salaires, mais ce qui nous intéresse c’est de cumuler des aides françaises et danoises. Nous n’envoyons pas l’animation en Chine ou aux Philippines.
À partir de ce moment-là, nous cherchons des outils et des styles graphiques qui nous permettent d’exprimer les histoires que nous avons envie d’exprimer à l’intérieur de ces budgets. C’est tout un tas de techniques qui vont de l’utilisation de la 3D pour faire les chariots, de prendre cette 3D et de l’amener dans Flash Animate que nous utilisons pour animer, de pouvoir corriger, reprendre ou modifier l’animation 3D qui a été produite à l’intérieur de notre logiciel d’animation, de mise en couleurs par un certain nombre de systèmes d’automation.
Nous avons une équipe de R&D qui est permanente chez 2 Minutes et qui répond à un certain nombre de nos demandes, qui développe des outils. En l’occurrence, ils sont en train de préparer un troisième film avec le même pipeline et avec un autre réalisateur, Liane-Cho Han, qui était superviseur de l’animation et story-border sur les deux films.
Ils vont travailler avec les mêmes outils mais avec de nouvelles demandes puisque, par exemple, Liane-Cho va travailler avec du point, se concentrer sur des premiers plans qui vont être flous par rapport à des arrière-plans et ils vont créer des nouveaux outils puisque c’était un langage que moi je n’utilise pas du tout. Ils ont, comme cela, cette capacité à faire évoluer des outils et les mettre au service du projet du réalisateur ou de la spécificité des projets.
Derrière les outils, il y a des hommes. Comme vous l’avez mentionné, c’est un travail d’équipe. Comment interagissez-vous avec l’équipe tout au long de la production ?
Nous avons un dépouillement avec le story-board, donc l’animatique du film est complètement dépouillé point à point, ce qui signifie que nous savons exactement combien nous allons avoir de chariots dans l’image. Nous dépouillons des volumes de manière assez précise. Ces volumes vont correspondre à des demandes techniques ou artistiques. Nous regardons ce dont nous aurions besoin avec les équipes de 2 Minutes, ils proposent les outils qu’ils ont.
Sabine Hitier, la superviseure de la 3D, nous a apporté énormément de solutions. Elle arrive à faire ce mariage entre l’animation 2D et 3D – c’est sa spécialité – et ses propositions nous libèrent donc d’un certain nombre de contraintes. C’est assez organique. Ensuite il y a une version d’essai : il faut que nous la validions, voir s’il y a des bugs. Ce sont des allers et retours qui fonctionnent pendant la production jusqu’à obtenir des outils qui fonctionnent et c’est comme cela que les équipes avancent.
Par rapport à la prise de vues réelles, le dessin animé s’étale sur des périodes longues. La fabrication prend vingt-huit mois par rapport à un tournage de live qui va durer trois semaines.
Nous avions à Paris un studio avec vingt-cinq personnes. Un décorateur doit faire deux ou trois dessins par jour, un animateur va devoir faire une seconde et demie à deux secondes par jour… Nous devons produire de huit à douze dessins par seconde, ce qui représente entre 50 et 56 000 dessins pour un film ! Il faut produire tous ces dessins, toute cette matière, de manière rapide et efficace avec des étapes qui soient fluides, plusieurs équipes qui se superposent et qui se suivent. Il faut que les fichiers passent d’une étape à l’autre avec un certain nombre de retours techniques et de précisions. C’est de la surveillance technique, des automations, de la programmation, du script et des innovations. Nous sommes toujours dans une recherche d’efficacité qui nous permet de tenir les temps et les budgets.
Un film, c’est un objet audiovisuel… Quid de l’audio ?
Nous avons travaillé avec Mathieu Z’Graggen et Régis Diebold d’Innervision. Je les avais découverts sur Tout en haut du monde et j’avais très envie de retravailler avec eux. Nous nous sommes associés avec Grégory Vincent qui est un bruiteur extraordinaire. Il a beaucoup d’expérience. Il a travaillé sur Oggy et les cafards. Il a une lecture très fine de l’animation et s’il est capable d’aller au cartoon, il peut faire aussi des choses très réalistes. Il a une compréhension incroyable de ce qu’est le rythme de l’animation. Nous avons passé de très bons moments avec eux.
Le style graphique de Calamity est simple, il y a peu de détails, le spectateur doit combler les vides. Le son est quelque chose d’assez pernicieux : nous ne savons pas forcément ce que nous entendons ! Les bruits de vêtements, par exemple, lorsque Calamity bouge. Ces bruits de présence apparaissent et font que nous ne questionnons plus l’idée que ce soit une veste, nous entendons le fait que ce soit du tissu et le spectateur ne sait pas forcément qu’il entend cela. C’est ce qui crédibilise et rend l’image plus forte qu’elle ne l’est. C’est vraiment un moment que je trouve passionnant.
Votre film est sorti juste avant le reconfinement. Comment le film va-t-il vivre maintenant ?
Nous attendons le déconfinement et la réouverture des salles pour ressortir le film. Nous espérons retrouver une partie de la dynamique que nous avions mise en place parce que le film commençait effectivement à marcher un petit peu plus dans la deuxième semaine des vacances de la Toussaint et le bouche à oreilles commençait à fonctionner.
Nous allons aussi nous appuyer sur le scolaire puisque les activités parascolaires sont de nouveau autorisées dans le respect des règles sanitaires. Moi, je vais repartir en tournée suivre les films.
Avec Tout en haut du monde, nous avions fait 205 000 entrées en exploitation commerciale. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 500 000 entrées grâce aux dispositifs scolaires et aux liens avec les salles art et essai qui reprogramment le film assez régulièrement pendant les vacances. Nous espérons que Calamity fera le même genre de carrière qui s’inscrira sur la durée avec des sujets dont pourront s’emparer instituteurs et enseignants pour lancer des débats sur le genre : « Qu’est-ce que c’est qu’être une fille ? », « Qu’est-ce que c’est qu’être un garçon ? », « Quel est le prix que payent les gens qui passent cette frontière-là ? »…
Pour les artistes et créateurs, le confinement est perçu comme assez favorable pour réfléchir et se projeter dans le futur sur un nouveau projet. Est-ce votre cas également ?
Bien sûr ! Nous sommes en train d’écrire un autre film avec Fabrice de Costil et Sandra Tosello qui étaient co-scénaristes sur Calamity. Cela racontera une histoire sur les fortifications de la zone en 1900. C’était une nébuleuse de bidonvilles qui s’étaient développés sur un no man’s land entourant Paris sur la base dans anciennes fortifications. C’est à peu près situé à l’endroit où se trouve le périphérique maintenant. Nous imaginons le destin d’une gamine qui va devenir chanteuse réaliste, donc c’est à la fois un parcours musical et aussi une jeune fille qui va sortir de sa condition de misère pour essayer de devenir chanteuse !
Onze ans pour le premier film, quatre ans pour le deuxième… deux ans pour le prochain ?
J’aimerais beaucoup, mais c’est assez incompressible ! Cinq ans c’est pas mal, cela fait deux ans d’écriture, un an pour faire l’animatique et quasiment deux ans pour faire le film. Nous ne pouvons pas trop descendre en-dessous !
Rendez-vous en 2025 Rémi Chayé… !
Article paru pour la première fois dans Moovee #6, p.56/59. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.