Production

Au nom de la terre « Les producteurs ne sont pas forcément que des comptables ».

INTERVIEW

Publié le 28/04/20

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En un quart de siècle, Christophe Rossignon a accompagné des réalisateurs tels que Mathieu Kassovitz, Stéphane Brizé, Christian Carion, etc., produisant des longs-métrages incontournables à l’instar de La Haine, de Je vais bien, ne t’en fais pas. Avec plus d’une trentaine de productions fortes à son actif, l’homme est un producteur exceptionnel. Retour sur la production d’Au nom de la terre. Dans ce premier film de fiction, Édouard Bergeon raconte l’histoire tragique de son père, un agriculteur qui finira par se suicider. Une œuvre poignante qui a bouleversé près de deux millions de spectateurs.

Rufus et Guillaume Canet, le père et le fils. © Nord-Ouest Films

Moovee : Quelles seraient les clés pour produire un premier film ?

Christophe Rossignon : C’est une question à laquelle je ne saurais vous répondre, tellement il n’y a pas de règles. Dans le cas d’Édouard Bergeon, il avait déjà réalisé des documentaires. Il est vrai qu’un premier film nécessite plus d’attention, de soins dans l’accompagnement. Nous avons commencé à parler d’Au nom de la terre avec Édouard, il y a cinq ans quand je lui ai proposé d’adapter en fiction ce qu’il avait vécu avec son père, qu’il évoquait dans son documentaire Les Fils de la terre. Il y a eu deux ans et demi d’écriture, je ne me posais pas encore les questions de la production. La problématique était plutôt qu’Édouard n’avait pas écrit de fiction et que je lui ai présenté des scénaristes afin d’adapter la vraie histoire.

 

Quel a été votre travail pendant ces deux ans et demi ?

C.R. : Il a consisté à être présent pour réagir au fil des différentes versions, de les lire, de les décortiquer afin de passer toutes ces étapes d’écriture. J’agis de la même façon avec des réalisateurs confirmés.

 

Comment définissez-vous le travail de producteur ?

C.R. : Il n’y a pas de définition précise. J’aime suivre le travail d’écriture et l’accompagner. Je ne produis pas de film tout écrit, cela ne m’intéresse pas. Une fois que le scénario est au point, on s’attelle au casting, je délègue alors une partie de mon travail à ma productrice exécutive. Avec elle on s’est ensuite interrogé sur le coût, la difficulté du sujet : une exploitation agricole, les retours dans le passé impliquant de retrouver du matériel agricole d’époque, les animaux. C’est d’ailleurs un des points compliqués, qui de plus coûte cher. Il faut prendre d’infinies précautions, ce qui est d’ailleurs normal. Nous ne sommes plus à l’époque des grands westerns où il y avait de nombreux chevaux morts à cause des cascades pendant les tournages.

 

Vous avez tourné dans une ferme en activité ?

C.R. : C’était impossible. Nous avons reconstitué une ferme qui venait d’être rachetée par des agriculteurs qui nous l’ont louée six mois afin que nous puissions tourner. Un vrai coup de chance de trouver ce lieu en Mayenne. Il fallait aussi tourner le film en deux parties (été et hiver). J’ai inscrit le planning du film dans des périodes où j’étais disponible, c’était une nécessité. J’ai poussé Édouard à écrire ce film, il n’était pas question que je privilégie une grosse production ou que je sois par monts et par vaux. Il est vrai que le sujet me touche, je suis fils et frère d’agriculteur, mais si le thème avait été autre, je n’aurais pas oublié que, sur un premier film, le producteur doit se rendre disponible à toutes les étapes, y compris sur le tournage. Si je ne l’avais pas été, j’aurais commis une faute. C’est difficile maintenant pour moi de porter un premier film, j’ai une structure lourde. Je ne veux pourtant pas me l’interdire. C’est aussi une histoire d’amitié avec Édouard, il y avait entre nous une grande confiance. De plus, Guillaume Canet m’avait parlé du documentaire d’Édouard et comme nous avions déjà travaillé ensemble [NDLR : notamment sur Jeux d’enfants, de Yann Samuell en 2003] et qu’il était sensible au sujet, il a été partant et il s’est beaucoup investi ensuite sur ce projet.

 

À combien s’est élevé le budget ?

C.R. : Près de 5,5 millions d’euros. Le film a reçu l’avance sur recettes. Grâce à son succès, près de deux millions d’entrées, celle-ci sera remboursée. C’est exceptionnel. Quand on a commencé, il y a cinq ans, on ne pouvait pas s’attendre à un tel engouement.

 

Quels conseils donneriez-vous un jeune producteur ?

C.R. : Écoutez-vous, tracez votre route, suivez votre instinct. Il n’y a pas d’algorithme à la Netflix pour trouver le film qui séduira le public. Comme l’a dit Marin Karmitz, un grand professionnel du cinéma, un producteur doit pouvoir avoir une ligne éditoriale, comme un éditeur, et faire ses choix. Les producteurs ne sont pas forcément que des comptables ou des financiers, ils peuvent avoir des goûts cinématographiques.

 

Comment définiriez-vous cette ligne éditoriale ?

C.R. : Je n’ai produit que des films dans mes goûts : des films d’auteur, à forte dimension humaine, souvent politiques, à l’instar de Welcome, de La Loi du marché, de Présumé coupable.

 

 

FICHE TECHNIQUE

Date de sortie : 25 septembre 2019

Réalisateur : Édouard Bergeon

Producteurs délégués : Christophe Rossignon et Philip Boëffard

Coproducteurs : Patrick Quinet et Guillaume Canet

Producteur associé : Pierre Guyard

Productrice exécutive : Ève François-Machuel

Nord-Ouest Films, France2 Cinéma, Artémis Productions, Canéo Films

Chaînes : Canal +, OCS.

Soutiens : Avance sur recettes du CNC.

Coproducteurs : RTBF, VOO & Be TV, Shelter Prod.

Avec le soutien de la Région des Pays de la Loire et du CNC, de la Procirep

Distributeur : Diaphana Distribution

Vendeur international : Wild Bunch

 

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.66/67. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.